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INTRODUCTION
Le 1
er
Novembre 1755 un événement catastrophique secoua la ville de
Lisbonne, le Portugal et l’Europe entière : le tremblement de terre de
Lisbonne. Il a eu des conséquences désastreuses sur le territoire et sur les
habitants de la ville, mais surtout il revêt une importance particulière pour
avoir été un des premiers désastres de l’histoire européenne qui ont modifié
la façon d’interpréter les catastrophes. Précédemment elles étaient
expliquées par la colère d’une divinité qui voulait, en quelque sort, punir
ses créatures ; le tremblement de terre de Lisbonne, par contre, ouvre une
nouvelle perspective de voir la catastrophe, plus proche de la modernité, en
proposant des explications métaphysiques et d’autres plus scientifiques.
Dans ce travail on examinera d’abord l’approche de l’homme aux
catastrophes qui l’ont amené à plusieurs sentiments : avant tout la peur de
perdre les personnes et les biens les plus chers, mais aussi les questions sur
l’origine du mal et sur les divinités auxquels des réponses sont, aujourd’hui
encore, très difficiles à donner.
On s’analysera les dynamiques du tremblement de terre de Lisbonne, les
idées et les réactions des hommes qui ont été frappé par un désastre si
violent et, en particulier, les questions métaphysiques que le tremblement
de terre a provoqué en Europe, entre lesquels celle d’un homme de Lettres
qui est probablement un des plus importants du siècle des lumières :
François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire. Son Poème sur
le désastre de Lisbonne est une des réponses les plus éloquentes au
tremblement de terre du 1755, dans le quel Voltaire enquête sur l’origine du
mal, en condamnant la nature en tant que porteuse de douleurs et
souffrances. Il est aussi une forte critique aux principes de l’optimisme, très
répandus dans le XVIIIe siècle en raison de la diffusion des œuvres de
Leibnitz et Pope.
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La réponse de Jean-Jacques Rousseau au poème de Voltaire, c’est-à-dire la
Lettre à Monsieur de Voltaire du 18 Août 1756, représente la vision
contraire à celle du poète et il est intéressant de l’analyser, compte tenu des
questions métaphysiques du XVIIIe siècle et aussi de la querelle
philosophique et personnelle entre les deux ʺgéantsʺ des lumières : Voltaire
et Rousseau. Selon Rousseau l’axiome de Leibnitz du Tout est bien est
indispensable : la nature est bienveillante envers ses créatures et elle ne peut
pas privilégier l’homme plutôt que les autres êtres vivants.
En bref, à travers l’analyse du Poème sur le désastre de Lisbonne et la lettre
de réponse de Rousseau, on examinera comment une catastrophe, comme
celle de Lisbonne en 1755, a pu influencer la pensée des intellectuels de
cette période en provoquant des doutes, souvent sans réponses, et en
ouvrant une véritable querelle sur la question de la théodicée, question
enquêté par l’homme depuis toujours.
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1. L’HOMME ET LA CATASTROPHE
1.1 Catastrophe et théodicée : le mal, d’où vient-il ?
Depuis toujours l’homme a eu un lien très étroit avec la nature. Il l’a vu
comme mère créatrice et lieu de protection, où il peut trouver tout le
nécessaire pour sa subsistance et qui lui permet de vivre dans ce monde
avec un rôle prédominant sur les autres êtres vivants.
Mais la nature n’est pas seulement bénigne ; elle place l’homme
continuellement devant des risques qui, plusieurs fois, provoquent des
situations irréversibles, où l’homme se retrouve, sans défense, à chercher un
nouvel abri et des nouveaux moyens pour continuer à vivre. Dans ces
circonstances, celles de la catastrophe, un rôle destructeur et méchant est
attribué à la nature et l’homme s’est demandé toujours d’où ce mal dérive.
C’est l’éternel dilemme d’Épicure : ou Dieu veut éliminer le mal dans ce
monde et il ne peut pas, ou il peut mais il ne veut pas ; ou il ne peut pas et il
ne veut pas ou il le veut et peut. Dans le premier cas, il n’est pas
omnipotent ; par contre s’il peut mais il ne veut pas il serait méchant. Dans
le troisième cas il n’est pas omnipotent ni bienveillant et dans le dernier, qui
est le seul cas apte à la figure de Dieu, d’où vient le mal sur la terre?
1
Épicure cherche à résoudre ce dilemme en niant l’intervention des dieux
dans les événements humains et naturels. Mais à partir de lui tous les plus
grands écrivains et philosophes, pour ramener les événements
catastrophiques à un dessein rationnel, se sont interrogés sur cette question,
qui plus tard a pris le nom de théodicée, c’est-à-dire ʺ doctrine de la justice
de Dieu ʺ, du grec théos (dieu) et díke (justice).
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1
Cfr. C. F. Lactance, De ira Dei, chapitre XIII, in J. P. Migne, Patrologiae cursus completus, series
latina, Paris 1841-1864, vol.7, coll. 77-146.
2
Le terme a été employé pour la première fois par G.W. Leibnitz in Essais de Théodicée sur la
bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal ( Amsterdam, 1710). Leibnitz utilise ce
terme avec le sens de ʺjustification de Dieu pour le mal qui est sur la terreʺ.
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L’homme est différent des autres êtres vivants : il est pourvu de raison qui
augmente sa douleur parce qu’il ne réussit pas à expliquer le pourquoi de
toutes les souffrances dans sa vie et ces souffrances sont considérées
intolérables surtout quand elles sont injustes et imméritées.
Ce thème est traité dans le livre de Job de l’Ancien Testament où Dieu
décide de punir Job sans aucune raison, seulement pour tester sa fidélité.
Job est décrit comme un homme riche et juste, loin du péché et fidèle à
Dieu mais il est obligé à faire face à plusieurs difficultés : il est privé de sa
richesse et de ses enfants et à la fin il est privé aussi de sa santé au point
qu’il arrive à maudire le jour de sa naissance. Ce livre est une protestation
sincère contre Dieu et il ne donne pas de consolation aux hommes ; au
contraire, il les porte vers un gouffre où l’homme, qui est limité comme
créature, ne peut pas comprendre la volonté de Dieu. Et Dieu même, fâché
pour les continuelles plaintes, rappelle à Job sa petitesse et il lui impose une
distance nette. En effet, comprendre le mal quand il atteint des innocents est
très difficile pour l’homme parce qu’une douleur injustifiée est une idée
antithétique à celle de la justice divine. C’est aussi le cas des catastrophes
naturelles qui arrivent sur la terre sans préavis et frappent tous les êtres
indifféremment : justes et injustes, riches et pauvres, adultes et enfants,
hommes et femmes. Cette réflexion se retrouve dans le dernier roman de F.
Dostoïevski, Les frères Karamazov, dans lequel Ivan, le protagoniste,
affirme : « Pendant qu’il est encore temps, je me refuse à accepter cette
harmonie supérieure. Je prétends qu’elle ne vaut pas une larme d’enfant,
une larme de cette petite victime qui se frappait la poitrine et priait le ʺbon
Dieuʺ dans son coin infect. […]Et si la souffrance des enfants sert à
parfaire la somme des douleurs nécessaires à l’acquisition de la vérité,
j’affirme d’ores et déjà que cette vérité ne vaut pas un tel prix. ».
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Mais la réaction à rechercher une raison du mal dans la figure de Dieu et de
lui demander le pourquoi de la souffrance immotivée dans le monde n’est
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F. Dostoïevski, Les frères Karamazov, Paris, Gallimard, 2003, livre I, pp. 625-626.
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pas la seule possible. En effet, l’homme peut être lui-même la cause de sa
douleur et de sa souffrance. C’est la pensée chrétienne, en particulier
d’Augustin d’ Hippone qui soutient que le mal dérive de l’homme, de son
péché original, de sa désobéissance envers Dieu. Le mal est le résultat du
libre arbitre qui a été utilisé par l’homme de façon inexacte. Les hommes
sont les seuls responsables des leurs souffrances parce qu’ils se sont
éloignés de Dieu qui est le Bien suprême. Le mal n’est même pas pensable
par l’homme, il est comme le silence ou les ténèbres : ils ne sont pas
connaissables dans leur forme, mais seulement comme privation des formes
de l’ouïe et de la vue et le mal aussi, il est simplement privation du bien.
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Par suite, Dieu est complètement déresponsabilisé de tous les types des
souffrances et douleurs sur la terre.
Toutefois l’image d’un Dieu miséricordieux est opposée à celle dans
l’Ancien Testament où Dieu est représenté comme vindicatif avec ceux qui
l’outragent. Dans cette vision, les catastrophes sont considérées des
punitions pour l’homme qui veut s’ériger au-dessus de Dieu et le veut
remplacer. Le tremblement de terre dans l’Apocalypse de Jean, par
exemple, représente la vengeance divine par excellence. « Puis je vis
l'Agneau ouvrir le sixième sceau ; survint alors un grand séisme[…] Alors
les rois de la terre, les grands, les généraux, les riches, les puissants, tous,
tant esclaves qu'hommes libres, s'allèrent cacher dans les grottes et les
rochers des montagnes ; et de dire aux montagnes et aux rochers :
ʺ Tombez-nous dessus et dérobez-nous au visage de Celui qui trône et à la
colère de l'Agneau, parce qu'est arrivé le grand jour de son courroux, et qui
peut tenir bon?ʺ »
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Le texte biblique de l’Apocalypse, avec des autres textes dans l’Ancien
Testament comme le Livre de Daniel, a été à l’origine du mouvement du
Millénarisme, une croyance chrétienne déjà présente dans le judaïsme selon
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Cfr. Agostino, La città di Dio, Milano, Bompiani, 2001, livre XII.
5
Bible, Nouveau Testament, Apocalypse de Jean, 6, 12-17.