7
INTRODUCTION
En ouvrant les travaux du Colloque du huitième Forum international de l’Académie
Universelle des Cultures (tenu à la Maison de l’UNESCO en novembre 2004), ayant
comme sujet “La communauté”, Elie Wiesel, ancien déporté d’Auschwitz et Prix Nobel de
la Paix en 1986, affirma :
« C’est un grand thème, sur le plan sociologique et psychologique, que nous allons explorer
au cours de ces deux jours de travaux ! A la fois intemporel et façonné, pétri par le temps,
il nous interpelle aujourd’hui avec une intensité puisée dans nos destins particuliers. Elle
commence quand la communauté où l’être humain est censé grandir, vivre et s’accomplir ?
Est-elle limitée à la famille, à la tribu, à la nation ? D’ailleurs, comment la définir ? Comme
un privilège, une obligation reçue ou acquise en raison d’une naissance, d’une religion ou
d’une idéologie ? Dans ce cas, peut-on quitter cette communauté, rompre avec elle, la
répudier, mettons, pour adhérer à une autre plus glorieuse, plus sécurisée, plus riche ou plus
pauvre mais plus vraie ? C’est quoi la communauté ? Un cadre, une langue, une ambiance,
une culture ou, plus simplement, un lien vague, imprécis, mais tout de même important, car
remède contre la solitude et ses démons ? Et une fois que je suis membre de cette
communauté, quels seraient ses devoirs à mon égard et les miens envers elle ? […] le sujet
est d’une actualité brûlante ».
1
Le mot “communauté” nous “interpelle” aujourd’hui non pas seulement en raison de son
emploi très courant et de son large champ sémantique, qui recouvre un nombre
pratiquement infini de groupes et d’individus, ayant en commun des traits aussi divers que
la religion, l’origine ethnique, les activités professionnelles, etc. Il nous “interpelle” −
comme le dit justement Wiesel − « avec une intensité puisée dans nos destins
particuliers ». L’histoire des “individus” se noue nécessairement avec celle des
“communautés”. L’emploi de ce mot est donc marqué par l’histoire de chacun, par la
1
E. WIESEL, « Préface», dans : ACADEMIE UNIVERSELLE DES CULTURES (F. BARRET-DUCROQ [éd.]),
Communauté (Forum International - Maison de l’UNESCO, 9 et 10 novembre 2004), Paris, Éditions
UNESCO/Grasset, 2006, 9.
8
manière dont ces réalités, que l’on désigne sous le nom de “communautés”, ont été vécues,
expérimentées, “traversées”.
Qu’il me soit permis de faire une petite digression autobiographique. C’est à Santicolo,
un village enchâssé dans une petite vallée des Alpes rhétiques, où j’ai passé mon enfance et
mon adolescence, que j’ai fait ma première expérience de “vie communautaire”. Au cœur
de cette “communauté” de quatre cents habitants, où tout le monde se connaît et se salue en
se croisant, il y a une église. Chaque dimanche une grande partie des habitants de Santicolo
s’y rassemble, autour de l’autel du Seigneur, pour chanter la gloire de Dieu. Santicolo est,
en effet, une “paroisse”, une “communauté paroissiale”. On ne perçoit la valeur des choses
que quand elles nous manquent. C’est au fil des années que je commence à mesurer la
valeur de cette “expérience communautaire” par rapport à ma formation humaine et
chrétienne. Sans pouvoir la “définir” en termes rigoureux, j’ai bien conscience que cette
expérience a été « une grâce » qui « enrichit ».
2
Au niveau universel, la “vie communautaire” a commencé sans doute avec l’histoire
même de l’humanité. Pourtant, le mot “communauté” a connu une diffusion extraordinaire
pendant le XX
e
siècle. En particulier, ce terme
« dans toutes ses acceptions, a resurgi ces dernières années et fini par envahir l’arène
politique et sociale. Au point qu’on ne sait plus exactement ce que “communauté” veut
dire : vivre ensemble ou se fermer aux autres ? Fraternité ou conflit ? »
3
Cette “inflation” n’a pas épargné la sphère religieuse. Dans le domaine catholique, en
particulier, on constate une diffusion significative du vocabulaire de la communauté,
surtout à partir de la seconde moitié du siècle dernier, pour des causes qui restent en grande
partie à déterminer.
4
2
T. J. van BAVEL, La communauté selon Augustin. Une grâce pour notre temps (traduit du néerlandais par
M. J. Schuind ; édition originale : Charisma : Gemeenschap. Gerneenschap als plaats voor de Heer ?,
Heverlee-Leuven, Augustijns Historisch Instituut) Bruxelles, Éditions Lessius, 100.
3
Cf ACADEMIE UNIVERSELLE DES CULTURES (F. BARRET-DUCROQ [éd.]), Communauté (Forum International
- Maison de l’UNESCO, 9 et 10 novembre 2004), Paris, Éditions UNESCO/Grasset, 2006, quatrième de
couverture.
4
Bien que l’influence de la pensée et du langage du Concile Vatican II et des instances liées aux
bouleversements socioculturels des années 60-70 représentent probablement des facteurs déclenchant une
large réception du terme “communauté” dans le domaine catholique au cours du XX
e
siècle, il faut considérer
9
L’une des disciplines qui a été davantage marquée par cette “invasion” du mot
“communauté” est la théologie de la catéchèse. Il s’agit d’un phénomène relativement
récent, si l’on considère que ce mot fait sa première apparition significative, dans le cadre
des documents du Magistère universel sur la catéchèse, en 1971, date de la publication du
premier Directoire Catéchétique Général (DCG), où il est employé une cinquantaine de
fois. Mais c’est surtout dans le nouveau Directoire Général pour la Catéchèse de 1997
(DGC) que la notion de communauté obtient la consécration la plus importante de la part
du Magistère ecclésial.
D’après le théologien belge Henri Derroitte, on rencontre dans ce document des idées qui
« vont attirer l’attention et susciter la mobilisation pour refonder l’articulation catéchèse-
communauté ».
5
Au n° 254 on dit que la communauté chrétienne est « l’origine, le lieu et
le but de la catéchèse ».
6
Parallèlement, on affirme, plusieurs fois, que « toute la
communauté » chrétienne est responsable de la catéchèse.
7
De plus, cette exigence,
soulignée par le Directoire, a trouvé pendant les dernières décennies un large accueil au
niveau des pratiques pastorales, dans divers contextes d’Églises locales occidentales
(français, italiens, belges, québécois, allemands, etc.), pratiques souvent avalisées par les
évêques.
8
En Italie, plusieurs propositions catéchétiques semblent se situer en syntonie
que sans doute « la racine décisive est à chercher dans la Réforme du XIV
e
siècle. Luther voyait exprimé
dans le mot Église cela même qu’il voulait écarter – l’Église catholique de la tradition. C’est pourquoi il n’a
jamais utilisé le mot Église dans un sens positif pour exprimer ce que nous appelons Église, mais il emploie à
sa place le mot “Gemeinde”, communauté » (J. RATZINGER, Les principes de la théologie catholique.
Esquisse et matériaux, Paris, Pierre Téqui, 1982, 325). L’ecclésiologue François Moog, quant à lui, situe
l’origine de la notion de communauté (dans le domaine catholique) à partir de la moitié du XX
e
siècle, dans
le cadre du mouvement liturgique (cf F. MOOG, « Le recours à la communauté en ecclésiologie au XXe
siècle », dans Lumen vitae dans 2006/4, 373-381).
5
H. DERROITTE, « Vers une catéchèse de toute la communauté et pour toute la communauté » (Préface), dans
B. HUEBSCH, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse par tous, avec tous et pour tous,
Bruxelles, Lumen vitae, 2005, 9.
6
« La communauté chrétienne est l’origine, le lieu et le but de la catéchèse. C’est toujours d’elle que naît
l’annonce de l’Evangile pour inviter les hommes et les femmes à se convertir et à suivre le Christ. C’est
encore cette communauté qui accueille ceux qui désirent connaître le Seigneur et s’engager dans une vie
nouvelle. Elle accompagne les catéchumènes et les catéchisés dans leur itinéraire catéchétique et, avec une
sollicitude maternelle, les fait participer à son expérience de foi et les incorpore en son sein » (Directoire
général pour la catéchèse [DGC], n° 254).
7
CONGRÉGATION POUR LE CLERGÉ, Directoire général pour la catéchèse (15 août 1997), nn.119.120.
8
Cf H. DERROITTE, « Vers une catéchèse de toute la communauté et pour toute la communauté » (Préface),
dans B. HUEBSCH, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse par tous, avec tous et pour tous,
11-14.
10
avec cette exigence communautaire.
9
Parallèlement les évêques italiens ont souvent donné
une place prioritaire à “l’option communautaire” de la pastorale.
10
Tous ces éléments laissent entrevoir un “défi” pour la catéchèse contemporaine, auquel il
semble que l’on ne peut plus renoncer : celui de faire de l’action catéchétique, dans toutes
ses dimensions fondamentales (sujet, lieu, but, méthode, destinataires), une action
profondément communautaire, où chaque membre de la communauté joue un rôle actif
dans la catéchèse.
Denis Villepelet, l’actuel Directeur de l’Institut Supérieur de Pastorale
Catéchétique de Paris (ISPC), estime que le «défi communautaire» est « le plus décisif
pour l’avenir du christianisme et de sa crédibilité dans le monde occidental » et que comme
« la foi chrétienne est radicalement de nature communautaire » « l’appropriation de cette
dimension est un enjeu catéchétique contemporain ».
11
Nonobstant les nombreuses études qui ont contribué à relever cet important défi,
12
un
problème crucial reste ouvert relatif au concept même de “communauté”. On ne peut pas
9
Par exemple : le Progetto « Parrocchia comunione di comunità » de Mgr. Antonio Fallico, soutenu par une
importante réflexion théorique ; le projet « Nuova Immagine di Parrocchia » (NIP) de Juan Batista
Cappellaro ; la « méthode des cellules » de Giuseppe Macchioni ; d’autres expériences de catéchèse des
adultes comme les « centres d’écoute» et les « communautés d’écoute».
10
Cf CONFERENZA EPISCOPALE ITALIANA, Documento pastorale Comunione e comunità: 1. Introduzione al
piano pastorale, Roma, 1 octobre 1981 ; IDEM, Documento pastorale Comunione e comunità missionaria,
Roma, 29 juin 1986 ; IDEM, Documento pastorale Il volto missionario delle parrocchie in un mondo che
cambia, Roma, 11 juillet 2004.
11
D. VILLEPELET, L’avenir de la catéchèse, Paris/Bruxelles, L’Atelier/Lumen Vitae, 2003, 71.
12
Voici une liste indicative en ce qui concerne les publications en langue française et italienne : L. AERENS,
La catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisse (coll. Pédagogie
catéchétique 14), Bruxelles, Lumen Vitae, 2002 ; A. M. AITKEN, « Vers une pédagogie intergénérationnelle
?», dans Catéchèse 122 (1991) 101-109 ; E. ALBERICH, (avec la collaboration de H. DERROITTE & J.
VALLABARAJ ; traduction de l’anglais par Jérôme Vallabaraj), Les fondamentaux de la catéchèse, Bruxelles,
Lumen Vitae/Novalis, 2006 (titre original : Communicating a Faith That Transforms. Handbook of
Fundamental Catechetics, Kristu Jyoti Publications, Salesians of Don Bosco, Kristu Jyoti College, Bangalore
[Inde], 2004) ; P BACQ. – C. THEOBALD (éd.), Une nouvelle chance pour l’évangile. Vers une pastorale
d’engendrement, Bruxelles, Lumen vitae/Novalis, 2004 ; A. BORRAS, « Nouvelle paroisse et nouvelle
catéchèse », dans Lumen Vitae 2003/4, 395-408 ; A. BINZ, « Quelques conditions pour développer la
dimension catéchétique des communautés chrétiennes : vers une catéchèse intergénérationnelle», dans
Catéchèse 30 (1990), 159-172 ; V. BONNEVIE, « Catéchèse : de l’enseignement à l’initiation», dans Croire
aujourd’hui 69 (1999) 27 ; H. DERROITTE, « Les conditions d’un renouveau de la catéchèse paroissiale »,
dans Lumen Vitae 2000/2, 125-138 ; IDEM, La catéchèse décloisonnée. Jalons pour un nouveau projet
catéchétique (coll. Pédagogie catéchétique 13), Bruxelles, Lumen Vitae (Troisième édition revue et
augmentée ; première édition : 2000), 2004 ; A. FOSSION, « Vers des communautés catéchisées et
catéchisantes. Une reconstruction de la catéchèse en un temps de crise», dans Nouvelle Revue Théologique
126 (2004) 598-613 ; IDEM, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pour
l’inculturation de la foi (coll. Cogitatio fidei, n°156), Paris, Le Cerf, 1990 ; R. HOUTEVELS-MINET, Il nous
11
éviter d’aborder sérieusement la question: quelle notion de “communauté” recouvre
l’emploi de ce terme dans les textes magistériels et catéchétiques qui plaident pour une
catéchèse toujours plus communautaire?
Le mot “communauté”, caractérisé par une grande fluidité sémantique, est employé
aujourd’hui dans les domaines les plus divers, pour désigner de réalités très différentes par
l’ampleur et la composition: de la “Communauté Européenne” à la “communauté
virtuelle” ; de la “communauté familiale” à la “communauté humaine”. Dans la langue
française, ce terme désigne généralement « un ensemble de personnes » « ayant un lien en
commun ».
13
Ainsi, dans l’imaginaire collectif, la notion de “communauté” est souvent
associée à un groupe homogène et restreint d’individus, qui réclame une certaine
indépendance par rapport à l’environnement externe. Dans cette perspective, en France on
enregistre de plus en plus des prises de position critiques face à l’émergence de
communautés religieuses, régionales, de mœurs, etc. qui revendiquent leurs spécificités,
perçues comme une “menace” pour l’unité et la laïcité de la République française et sa
parlait en chemin. La catéchèse paroissiale : communauté, parole, chemin (coll. Pédagogie catéchétique),
Bruxelles, Lumen Vitae, 1999 ; B. HUEBSCH, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse par
tous, avec tous et pour tous (traduction de l’américain coordonnée par Francesca Rombaut et alii), Bruxelles,
Lumen vitae, 2005 (titre original : Whole Community Catechesis in Plain English, Mystic, Connecticut, États
Unis, Twenty-Third Publications, 2002) ; A. LAURENTIN - M. DUJARIER, Catéchuménat. Données de
l’histoire et perspectives nouvelles (coll. Vivante liturgie 83), Paris, Centurion, 1969 ; N. METTE, « Les
tâches de la communauté ecclésiale dans le processus religieux d’apprentissage », dans Concilium 194
(1984) 111-120 ; IDEM, « Formation et communauté. Compétence catéchétique et/ou offre interpersonnelle»,
dans G. ADLER (éd.), Formation et Église. Pratiques et réflexion. Actes du colloque européen de mai 1985
(coll. Le point théologique 48), Paris, Beauchesne, 1987, 53-73 ; IDEM, « De la catéchèse dans la
communauté à la catéchèse de la communauté», dans Lumen Vitae 43 (1988), 387-396 ; IDEM, « La
communauté chrétienne comme catéchèse vivante», dans Lumen Vitae 55 (2000), 139-148 ; F. MOOG, « Le
recours à la communauté en ecclésiologie au XXe siècle», dans Lumen vitae dans 2006/4, 373-381 ; F.
PAJER,« Une catéchèse où la communauté chrétienne dans son ensemble est à la fois catéchisée et
catéchisante », dans H. DERROITTE (éd.), Théologie, mission et catéchèse, Bruxelles, Lumen Vitae, 2002, 19-
32 ; N. PROVENCHER, « Vers la paroisse responsable et évangélisatrice », dans Lumen Vitae 2004/ l, 57-
71 ; D. VILLEPELET, L’avenir de la catéchèse (coll. Interventions Théologiques), Paris, Éditions de
l’Atelier/Lumen vitae, 2003 ; M. VILLERS, « D’une catéchèse de transmission à une catéchèse d’initiation »,
dans Lumen Vitae 2001/1, 75-96 ; G. CAVALLON, Rifondare la fede nella comunità parrocchiale, Cinisello
Balsamo (Milano), Edizioni Paoline, 1992 ; G. GIUSTI, Comunità cristiana e catechesi degli adulti. Problemi
e prospettive, Leumann (Torino), Elledici, 1991 ; L. MEDDI (éd.), Diventare cristiani. La catechesi come
percorso formativo, Napoli, Luciano Editore, 2002 ; L. SORAVITO, La catechesi degli adulti. Orientamenti e
proposte, Leumann (Torino), Elledici, 1998 ; Z. TRENTI, « La comunità, luogo di maturazione credente»,
dans Catechesi 53 (1984) 9-19 ; L. M. ZAPPATORE, Catechizzare i genitori per catechizzare i figli… e
viceversa, Roma, Paoline, 2000.
13
Cf « Communauté», dans A. REY (éd.), Dictionnaire historique de la langue française, tome 1, Paris,
Dictionnaires Le Robert, 817.
12
vocation universaliste. Cette stigmatisation des phénomènes communautaires s’exprime
souvent par l’utilisation du mot “communautarisme” pour désigner un phénomène social
dont la dangerosité dans la cadre du système institutionnel français est posée comme
postulat.
14
La critique du communautarisme risque ainsi de mettre en cause tout discours
d’exaltation du fait religieux en tant qu’événement “communautaire”, par une inévitable
assimilation des termes “communauté” et “communautarisme”. Face à une valorisation
presque unanime de la dimension communautaire, dans le domaine ecclésial, de la
catéchèse et de l’activité pastorale, nous avons donc affaire, dans le cadre du débat
sociopolitique, à une mise en discussion radicale de toute forme d’enfermement des
personnes dans un groupe particulier.
La promotion d’une nouvelle articulation entre “catéchèse” et “communauté” de la
part du Magistère de l’Église et des théologiens de la catéchèse peut-elle ignorer cette
problématique dont l’enjeu ne touche rien de moins que le rapport entre la société civile et
la communauté ecclésiale ? Cette question rejoint en dernière analyse celle fondamentale
évoquée ci-dessus sur la notion de “communauté”.
Une clarification de la notion de “communauté” s’impose − nous semble-t-il − même au
niveau purement pastoral. Dans l’imaginaire collectif − comme nous le précisions plus
haut − la “communauté” est souvent associée à un groupe restreint et affinitaire de
personnes partageant un ethos culturel commun et liées les unes aux autres par des
relations familiales, immédiates et chaleureuses. Comment concilier cette conception de la
“communauté” avec l’image réelle qui se présente ordinairement sous nos yeux dans nos
communautés paroissiales − surtout dans les grandes villes comme Paris − où la plupart
des fidèles ne se côtoient que lors de la célébration dominicale ou à l’occasion de la
demande de sacrements ou d’obsèques? Faut-il croire que ces fidèles ne constituent pas
une vraie “communauté” ? Faut-il croire que le but de la pastorale paroissiale est la mise en
œuvre d’un “collectif” communautaire dont la valeur précède celle de chacun de ses
membres ou d’un idéal commun qui précède la liberté des personnes ? Ou bien, au
contraire, serait-il souhaitable d’éviter de qualifier de “communauté” l’Église, la paroisse
14
Voir par exemple : J. LANDFRIED, Contre le communautarisme, Paris, Armand Colin, 2007 ; A. RABAGNY-
LAGOA, Le communautarisme: la République divisible?, Paris, Ellipses, 2007.
13
ou les petits groupes sub-paroissiaux ? En définitive, une vision de la “communauté
chrétienne” comme une entité sociale homogène, définie à partir d’elle-même et ayant un
but en elle-même, est-elle conciliable avec l’image d’Église qui nous est livrée par la
Tradition, dans les termes d’un « nouveau peuple » que Dieu constitue moyennant
l’appel de « la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils » ?
15
Dans quel
sens faut-il entendre l’expression “communauté chrétienne” lorsqu’elle est associée à la
paroisse et quelle portée ecclésiologique cette expression a-t-elle lorsqu’elle est employée
pour désigner de petites communautés “infraparoissiales” ?
« L’usage extensif du terme communauté mobilise des images contradictoires. Il devient
urgent de préciser les caractéristiques d’une communauté chrétienne pour que celle-ci ne se
réduise pas à un quelconque groupement de défense d’intérêts particuliers. Comment une
communauté chrétienne manifeste-t-elle qu’elle reçoit sa vie de l’amour trinitaire ? ».
16
La problématique que nous venons de dessiner montre combien notre question va bien
au-delà de l’intérêt spécifique de la science théologique. Elle embrasse en même temps le
domaine des sciences humaines, spécialement la sociologie, puisque le concept de
“communauté” est éminemment sociologique.
17
D’une part, une clarification de la notion
de “communauté” est à considérer comme un outil pour mieux saisir les enjeux d’un
discours théologico-pastoral envisageant la communauté chrétienne comme “origine”,
“lieu” et “but” de la catéchèse. D’autre part, elle nous permettra de mettre en évidence
d’éventuelles ambiguïtés inhérentes à l’emploi de la notion de “communauté” dans le débat
culturel contemporain, entraînant une certaine méfiance face à tout ce qui apparaît comme
un “fait communautaire”. Dès lors, en faisant écho à la citation de Derroitte, notre but est
de parvenir à une “refondation” de l’articulation catéchèse-communauté à partir d’une
compréhension plus approfondie de ce qu’est une communauté catéchisante et catéchisée.
15
Cf CONCILE VATICAN II, constitution pastorale Gaudium et Spes, n. 9.
16
A. TALBOT, « Apprendre à vivre en alliance», dans A. ROUET − E. BOONE − G. BULTEAU − J-P. RUSSEIL −
A. TALBOT, Un goût d’espérance. Vers un nouveau visage d’Église II. L’expérience des communautés
locales à Poitiers, Paris, Bayard, 2008, 155.
17
Néanmoins, notre étude se situe tout d’abord dans le domaine de la théologie catéchétique, en ayant
comme objet spécifique l’articulation entre catéchèse et communauté dans le cadre du débat de la théologie
catéchétique contemporaine.
14
Nous croyons que le véritable enjeu de cette refondation tient à la crédibilité de l’Église
et la transmission de la foi aux nouvelles générations. Dans un monde «bigarré, pluraliste,
complexe» «la foi est moins un héritage tout fait que l’on endosse par tradition, que l’effet
d’une libre réflexion, d’une décision et d’un engagement personnel».
18
Il s’agit donc de
permettre à une personne d’“entrer” dans l’expérience chrétienne «en parcourant tout un
itinéraire» et d’accompagner ce “cheminement” d’une manière structurée, car «plus une
proposition de démarche est rigoureuse, organisée et explicitée, plus la liberté des
personnes est respectée». C’est ce que les évêques de France appellent une «pédagogie
d’initiation», qui requiert, entre autres, «la médiation d’une tradition vivante» et «une
ouverture à la diversité culturelle».
19
Or, cette médiation ne trouve-t-elle pas son
expression la plus essentielle dans la “communauté chrétienne”, qui est «en elle-même une
catéchèse vivante»
20
? Mais à quelles conditions et dans quelles limites une “communauté
chrétienne” peut-elle être un “milieu” de catéchèse et d’évangélisation ? Telle est la
problématique dans laquelle s’inscrit ce travail.
Nous nous servirons fondamentalement d’une méthode analytique, spécialement dans la
première phase de la recherche (première et deuxième partie),
21
où nous nous proposons
d’examiner un corpus de textes concernant le rapport entre catéchèse et communauté afin
de mieux cerner notre problématique et de dresser un premier cadre typologique
concernant la notion de “communauté”. Cette étude nous permettra également d’aboutir à
une première vérification de notre hypothèse de départ, qui peut être ainsi formulée : le
concile Vatican II a rappelé que « la liturgie est le sommet auquel tend l'action de l'Eglise,
18
A. FOSSION, La catéchèse dans le champ de la communication. Ses enjeux pour l’inculturation de la foi
(collection Cogitatio fidei 156), Paris, Cerf, 1990, 13.
19
Cf CONFERENCE DES ÉVEQUES DE FRANCE, Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et
principes d’organisation, Paris, Cerf/Bayard/Flerus-Mame, 2006, 45-60.
20
Cf DGC 141.
21
Notre sujet pourrait également être abordé par le biais d’une étude diachronique autour des circonstances et
des facteurs culturels, théologiques et pastoraux qui ont déterminé la genèse et l’émergence historique de la
notion de “communauté” et d’un discours sur la communauté dans la réflexion catéchétique et magistérielle.
Tout en reconnaissant la valeur d’une telle démarche − qui pourrait bien servir à€ étayer notre thèse − il
importe de préciser que notre étude ne se veut pas tellement une recherche de caractère historique qu’une
démonstration de caractère analytique. Notre préoccupation première n’est pas tellement de détecter les cause
historiques à l’origine d’une réflexion ecclésiale sur le rapport entre catéchèse et communauté chrétienne,
que d’en saisir la portée théologico/sacramentelle sur la base d’un parcours de lecture analytique d’un corpus
de textes de caractère théologique, magistériel et socio-anthropologique.
15
et « la source d'où découle toute sa vertu » ;
22
or, la communauté chrétienne n’est-elle pas
le lieu par excellence où s’exprime cette “action” de l’Église ? Peut-on affirmer donc que
toute communauté chrétienne est caractérisée par une “orientation liturgique” et que, par
conséquent, la “catéchèse communautaire” est toujours également une “catéchèse
liturgique” ?
Dans la première partie, cette vérification sera faite grâce à l’analyse des textes des
théologiens de la catéchèse, qui nous apportera quelques repères pour une première
caractérisation de la communauté “catéchisante” et “catéchisée” et nous permettra de
mieux saisir les enjeux de notre recherche. Cet examen se poursuivra, dans la deuxième
partie, par l’analyse de documents du Magistère universel de l’Église qui nous aidera
également à préciser la notion de “communauté chrétienne” du point de vue “normatif”. La
lecture des textes magistériels nous apportera un cadre critériologique de fond, avant
d’entreprendre, dans la troisième partie, une étude socio-anthropologique sur la notion de
“communauté”. Les résultats de cette étude seront par la suite rapportés au domaine propre
de la théologie − spécialement de la théologie sacramentelle − dans la quatrième partie, où
nous pourrons achever notre vérification et aboutir finalement aux remarques finales et aux
conclusions.
23
22
SC 10.
23
Pour une justification plus argumentée de notre démarche nous renvoyons aux introductions et aux
conclusions de chaque partie et chapitre. Ainsi, au début de la troisième partie, nous donnerons des précisions
importantes d’ordre épistémologique et méthodologique inhérentes à la question du rapport entre théologie et
sciences humaines.