3
INTRODUCTION
L‟alimentation est généralement reconnue comme un droit humain, différents documents et
accords internationaux qui sanctionnent cette prérogative. Le plus important est certainement
la Déclaration universelle des droits de l‟homme de 1948 qui reconnait pour la première fois
l‟alimentation comme un droit inaliénable
1
pour l‟homme, et la responsabilité des Etats à
garantir un niveau minimal de sécurité alimentaire. Ce droit a été reporté en 1966 dans la
Déclaration des droits économiques et sociaux, dont 156 états ont étés les signataires.
L‟article 11 de cette Déclaration oblige les Etats à mettre en place toutes les activités de
coopération internationale et de politique publique interne pour garantir à chaque individu
l‟accès à la nourriture
2
. Plus récemment, l‟Assemblée des Nations Unies a approuvé les
Objectifs du Millénaire : il s‟agit de huit points que les 191 Etats de l‟ONU s‟engagent à avoir
rejoints en 2015. Un point du document affirmait que les Etats devaient réduire de moitié le
nombre de la population qui souffrait de la faim par rapport aux données mesurées en 1990.
Tous ces documents démontrent la volonté et l‟orientation générale de la communauté
internationale. La malnutrition et l‟insécurité alimentaire sont un des problèmes principaux
que l‟ensemble des Etat doit forcément résoudre.
Bien que se nourrir soit universellement reconnu comme un droit inaliénable et que la
communauté internationale s‟engage pour garantir à tous ce droit, aujourd‟hui une grande
partie de l‟humanité n‟a pas accès, de manière constante et régulière, à l‟alimentation. Les
données reportées par la FAO (l‟organisation pour la nourriture et l‟alimentation gérée par les
Nations Unies) ont décrit pour l‟année 2009 une augmentation des gens qui souffrent de la
faim par rapport aux données enregistrées en 2002. Si 820.000 personnes n‟avaient alors pas
accès à la nourriture, ce nombre a atteint le milliard en 2009.
1
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa
famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses
conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils
reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie.
2
Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim,
adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes
concrets:
a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine
utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d'éducation nutritionnelle et par le
développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l'utilisation des
ressources naturelles;
b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des
problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu'aux pays exportateurs de denrées alimentaires.
4
La principale cause de l‟insécurité alimentaire est l‟offre insuffisante d‟aliments, et les pays
les plus pauvres subissent les conséquences les plus désastreuses. La baisse du niveau des
salaires à la suite de la crise économique a de plus créé plus de chômage et de pauvreté, pas
seulement dans les Pays en Développement mais aussi dans les pays occidentaux.
Ce sont toujours les données de la FAO qui nous montrent la concentration des problèmes
alimentaires et de pauvreté en ville, surtout à cause de l‟augmentation du taux d‟urbanisation
que toutes les villes du monde ont connue dans les dernières décennies. Les prévisions
indiquent que le nombre total de la population urbaine en 2020 sera de 3,5 milliards de
personnes, c'est-à-dire la moitié de l‟actuelle population mondiale. Dans les Pays en
développement la distribution entre campagne et ville sera encore plus inégale. Ce sont
toujours les experts de la FAO qui démontrent qu‟à la même date, 85% des habitants en
Amérique latine seront urbains, et la moitié en Afrique et en Asie.
La rapide croissance urbaine n‟a pas été produite par des nouvelles possibilités économiques
en ville, mais par l‟excessif taux de natalité, et par l‟espoir des populations rurales d‟échapper
à la pauvreté en trouvant une situation meilleure dans l‟agglomération urbaine.
Etant donné l‟importance de la ville comme unité de mesure de la pauvreté globale, la
question posée est : peut-on construire un système alternatif de production et de distribution
de la nourriture en partant de la spécificité et de la particularité des villes ? C'est-à-dire, la
ville peut-elle produire seule de la nourriture pour ses habitants ? Les réponses à ces questions
peuvent être multiples, mais dans ce travail nous traiterons spécifiquement du rôle de
l‟agriculture en ville, communément appelé agriculture urbaine. L‟agriculture urbaine permet
de produire directement de la nourriture dans le lieu même où les gens habitent, en utilisant
tous les espaces inutilisés. Dernièrement elle a connu un développement considérable, surtout
en Afrique et en Amérique latine. Mais dans les villes occidentales cette typologie de
structuration urbaine devient aussi de plus en plus diffuse. L‟importance de l‟agriculture
urbaine, en tant qu‟instrument pour faire face aux problèmes alimentaires des villes, est
reconnue par les organisations internationales gouvernementales et indépendantes. La FAO
propose l‟agriculture urbaine comme une opportunité pour sortir de la pauvreté. En fait les
coûts initiaux pour acheminer l‟activité sont très bas, tout comme les quantités d‟eau utilisées.
En même temps le rendement agricole par mètre carré est très élevé
3
.
3
Produire des aliments dans des villes plus vertes, sur WWW.FAO.org;
5
Ce mémoire traitera deux cas spécifiques d‟agriculture urbaine, très différents entre
eux. Les différences sont dues au contexte géographique, social, climatique et culturel des
expériences étudiées. D‟un côté, nous verrons ce que sont les coopératives agricoles à la
Havane, leur rôle social et économique ainsi que la raison pour laquelle le gouvernement
cubain a décidé de mettre au centre de son propre système économique ce type d‟unité de
production Nous verrons les motivations historiques de ce choix et les critiques adressées aux
précédents systèmes de production agricole. De l‟autre côté nous analyserons les jardins
partagés à Paris, quand ils sont nés et à quel niveau d‟application et de diffusion ils sont
arrivés aujourd‟hui. Nous analyserons les relations sociales entre les membres du jardin, et
quelles influences ont eu les institutions locales pour le développement de ces expériences.
Pour le moment ces jardins restent des expériences de bénévolat citoyen, et les motivations
des gens sont surtout idéologiques.
Il est évident que Paris et La Havane sont deux mondes opposés et différents, mais à
travers cette confrontation on pourrait analyser la possibilité de l‟agriculture urbaine à
s‟adapter aux différents contextes urbains. Elle pourrait répondre à des problèmes communs à
toutes les villes, en s‟adaptant à la spécificité de chacune et des communautés locales.
Quel type de nourriture serait-il nécessaire de produire, et quel type de nourriture est-il
possible de produire en ville ? Quel est le rôle des Etats et des administrations locales pour
mettre en place ce nouveau système de production ? Comme former les gens qui n‟ont jamais
cultivé la terre ? Où construire des parcelles de terrain ? Comment distribuer les unités de
terrain entre la population ? L‟utilisation des techniques biologiques et la réintroduction de
pratiques traditionnelles (récupération des grains ou préparation du compost naturelle) sont-
elles possibles ? Ce type d‟agriculture est-il économiquement soutenable ? Les citoyens
seront-ils capables d‟autogérer des espaces communs ? Qui sont les personnes intéressées ?
C‟est une solution pour aider les pauvres ou elle est applicable à tous les habitants de la ville ?
Ces questions sont communes aux deux exemples que nous aborderons et nous chercherons à
y apporter une réponse au cours de ce travail.
La méthodologie d‟analyse utilisée est très différente pour les deux cas pris en
considération. En ayant la possibilité de mener nos recherches sur le terrain, nous avons pu
effectuer des entretiens directs avec les membres des jardins partagés et avec les représentants
politiques de la Mairie de Paris. Il nous a été possible de recueillir du matériel
vidéographique, photographique et de retranscrire par écrit les entretiens en temps réel. La
plupart des documents sont des copies de statuts ou de règlements communs récupérés
6
directement sur place pendant les entretiens. Il est donc possible de consulter la totalité des
documents présentés dans la bibliographie sur le site de la Mairie de Paris.
Pour l‟étude du cas cubain l‟impossibilité de développer une analyse directement sur
le terrain a nécessité une intensive recherche bibliographique. Les unités productives étudiées
s‟appellent Horganoponicos sous la forme juridique des UBPCs. Ce sont des jardins urbains
créés dans la ville de la Havane pour faire face à la grave crise alimentaire de la première
moitié des années quatre-vingt-dix. Les résultats atteints semblent positifs. En attendant de
pouvoir vérifier directement sur place les hypothèses de départ, on pourra, à travers les livres
et les articles qui traitent du cas de l‟agriculture urbaine à Cuba, établir des premières
considérations sur l‟efficacité de ce système. Dans le chapitre dédié à Cuba nous analyserons
du point de vue juridique la Troisième Réforme agraire, c'est-à-dire, la réforme qui pose la
condition réelle pour le changement de paradigme du modèle de production agricole.
Dans le futur, nous pourrons élargir notre recherche à d‟autres exemples de villes qui
ont commencé à appliquer les méthodes de l‟agriculture urbaine, pour comparer les
différentes expériences et tirer des conclusions plus précises sur leur réelle utilité.
7
A) La crise de la Période Spéciale et la troisième réforme agricole cubaine.
L’agriculture biologique et urbaine à la base du nouveau modèle de développement.
I) La nécessité d’une réforme du marché et de la propriété foncière pour faire
face à la grande crise de 1989.
L‟agriculture a été la plus importante activité économique pendant dix mille ans, et
même si le processus d‟industrialisation a réduit progressivement le poids de l‟agriculture à
l‟échelle planétaire, aujourd‟hui encore, 40% de la population active totale est employée dans
la production agricole. Cette donnée cache des différences entre le « Sud et le Nord ». En
Amérique du Nord et en Europe, les employés du secteur primaire ne représentent pas plus
que 5% du total de la population. Au contraire, dans le « Sud », l‟agriculture représente la
principale activité économique, en employant environ 80% de la force de travail. Pour Cuba
aussi l‟agriculture a été la principale activité de production économique et les revendications
politiques se sont développées autour de la question agraire. Selon le géographe Levi Marrero
l‟agriculture employait 800.000 personnes en 1957, dont la plupart étaient engagés au jour le
jour par les divers propriétaires fonciers
4
. Cuba a connu trois réformes agraires, la Réforme
post Révolution du 1959, la deuxième loi de Réforme agraire en 1963 et la dernière, qui nous
intéresse particulièrement, en 1993. Ces réformes ont modifié progressivement l‟apparat
productif de l‟île, avec de fortes conséquences soit sur le plan économique, soit sur le plan
social. Le nouveau gouvernement de 1959, présidé par le leader du mouvement
révolutionnaire 26 Juillet, Fidel Castro, décide de promulguer la première loi de Réforme
agraire de l‟île. Cuba était jusqu‟alors un territoire d‟exploitation coloniale : les Espagnols
puis les Etats Unis avaient développé un système économique basé sur l‟exportation à grande
échelle de produits comme le tabac, la canne à sucre et le café. Avant la réforme plus de 80%
des terres agricoles étaient contrôlées par les compagnies nord-américaines. 9,4% des
propriétaires fonciers possédaient 73, 3% des terres.
5
Le modèle productif était principalement
le latifundio, et la population cubaine constituait une main-d‟œuvre à bas coûts. Par contre
l‟agriculture cubaine était déjà plus avancée que celle du reste de l‟Amérique latine grâce aux
importations technologiques nord-américaines. En fait, la critique initiale du mouvement
révolutionnaire fut contre l‟excessive concentration des terres, et non sur la méthode de
production. Ce type d‟exploitation foncière a entraîné deux conséquences principales : d‟un
4
Rosenfeld (2008), p. 87.
5
Armando Nova Gonzalez (2008), p.45.
8
coté les richesses produites sur l‟île étaient exportées et elles n‟étaient pas investies dans le
développement du territoire, et d‟un autre côté, les produits nécessaires pour la vie
quotidienne étaient achetés à l‟étranger parce que la production interne était insuffisante.
La Première Réforme agraire de 1959 s‟occupe de redéfinir le problème de la propriété
de la terre. Les terrains supérieurs à 420 hectares furent confisqués aux entreprises et
redistribués aux paysans. Les travailleurs des entreprises expropriées devinrent propriétaires
de 26,8 hectares de terrain, donnés gratuitement par l‟Etat
6
. La Deuxième Réforme de 1963
complète la précédente, puisque chaque individu pouvait posséder un territoire agricole
inférieur à 13,5 hectares
7
. Cette réforme consolide ainsi le rôle de l‟Etat dans la gestion et le
contrôle des terres. Entre 1959 et 1963, 70% du territoire agricole était contrôlé par l‟Etat, et
après 1963 ce pourcentage atteint 80%. Des 5,5 millions d‟hectares qui furent confisqués aux
latifundistes, 1,1 furent redistribués aux travailleurs, tandis que le reste restait sous le contrôle
de l‟Etat
8
. La plupart des paysans étaient employés salariés du secteur public
9
. L‟Etat est
propriétaire de la terre et des moyens de production, et l‟agriculture est dirigée par le
gouvernement sur la base des principes du modèle fordiste. Il fallait maximiser la production
agricole et baisser les coûts sur chaque unité produite en employant un grand nombre
d‟ouvriers. Tous les objectifs de production étaient fixés par le gouvernement. Les fermes
d‟Etat étaient de larges extensions de terres cultivées de monocultures, dont le café, la canne à
sucre et le tabac constituaient la quasi-totalité de la production. Le but principal de l‟activité
agricole était de produire un nombre suffisant de produits pour qu‟ils puissent être exportés à
l‟étranger, afin de financer l‟achat des produits alimentaire de base, et les services publics
(santé, instruction et administration publique).
Le commerce extérieur de Cuba a été influencé par la politique internationale, depuis
la Révolution armée contre le chef du gouvernement Fulgencio Baptista, contrôlé par les
Etats-Unis. En 1962 la Maison Blanche interdit toute sorte d‟échange commercial avec Cuba,
y compris les importations de sucre, ou les exportations de médicaments. Le gouvernement
cubain décide d‟entrer dans le bloc soviétique, et l‟URSS dévient son principal partenaire
économique. On pourrait tout simplement dire qu‟à partir de 1962, Cuba élabore des relations
6
Ibid.
7
Artículo 1. Se prescribe el latifundio. El máximo de extensión de tierra que podrá poseer una persona natural
o jurídica será treinta caballerías ( N.d.E. Una caballería = 13,42 hectáreas). Las tierras propiedad de una
persona natural o jurídica que excedan de ese límite serán expropiadas para su distribución entre los
campesinos y los obreros agrícolas sin tierras.
8
Armando Nova Gozalez (2008), p. 45.
9
BURCHARDT Hans-Jurgen, p. 2.