2. METHODOLOGIE
2.1. Neutralité axiologique
Chaque chercheur, en tant que tel et en tant qu‟être humain, ayant place dans un contexte
culturel spécifique, ne peut pas éviter de faire référence à certaines valeurs – et en particulier à
ses propres valeurs. Elles constituent précisément la motivation et le point de départ de
chaque recherche et de chaque action et sont décisives pour le choix du sujet et la définition
du problème.
Cela dit, le chercheur, en tant que scientifique, doit avoir une attitude de neutralité
axiologique, comme l‟a expliqué Max Weber. Ce qui signifie qu‟il ne doit pas se laisser
influencer par ses valeurs, au sens d‟orienter sa recherche selon ce qu‟il veut ou espère
trouver, ni exprimer un jugement de valeur sur ce qui est bien et ce qui est mal, sous peine de
fausser ou de rendre partiels les résultats de son travail et de ne pas être objectif. Il doit se
contenter d‟observer, de décrire, d‟expliquer et éventuellement d‟émettre des conclusions.
2.2. Limites du travail
J‟ai commencé à penser à ce mémoire aux environs de décembre 2008, alors que j‟étais en
train de préparer ma première session d‟examens à l‟ULB et que je me rendais compte d‟être
de plus en plus passionnée par ce que j‟étais en train d‟étudier et d‟apprécier l‟approche des
professeurs, qui nous offraient une vision de différentes perspectives du développement et qui
n‟avaient pas peur d‟être critiques.
Le stage que j‟ai effectué de septembre à novembre 2009 au Ghana au sein du Kumasi
Institute of Tropical Agriculture (KITA), une ONG ghanéenne qui s‟occupe de
développement rural et de vulgarisation, a été l‟occasion de mettre à l‟épreuve ce que j‟avais
lu et étudié pendant mes études et à l‟occasion d‟approfondissements personnels.
Je dois en tout cas admettre que j‟aurais eu besoin de plus de temps à consacrer à cette
recherche et notamment de plus de temps à passer sur le terrain, autant pour l‟observation que
pour l‟expérimentation directe de la pratique de l‟agroécologie et de la permaculture en zone
tropicale.
À cela il faut ajouter des carences méthodologiques, dues au fait que malheureusement je n‟ai
pas eu l‟opportunité de me former de manière approfondie à la méthodologie de la recherche
en sciences sociales sur le terrain.
10
Je suis donc consciente des limites de ce travail et j‟espère pouvoir approfondir ces
thématiques lors d‟études et recherches ultérieures, car je suis persuadée qu‟il s‟agit de
thématiques fondamentales pour le futur des pays pauvres et du monde en tant que « village
global ».
2.3. Références bibliographiques
Le passage en revue de la littérature m‟a été utile au début pour élaborer un cadre général de
présentation et d‟explication du système actuel de l‟agriculture et de ses conséquences.
Ensuite, il m‟a permis de ressembler toutes les informations nécessaires sur le concept de
durabilité et sur l‟agriculture durable, ainsi comme pour en vérifier l‟état de l‟art et les
différentes perspectives. Finalement, il a aussi été indispensable pour construire un cadre
théorique et historique de référence où situer l‟analyse du projet de développement rural mené
par KITA, auquel est consacré le dernier chapitre.
La littérature que j‟ai étudiée pour la rédaction de ce mémoire, aussi bien avant, que pendant
et après l‟expérience de terrain, est assez variée, du fait que j‟ai pu profiter de l‟accès aux
ressources de plusieurs bibliothèques publiques, universitaires, d‟organisations non
gouvernementales et de centres de recherche (notamment en Belgique, Angleterre, Ghana et
Italie), aux matériels que les cadres de KITA m‟ont fournis et à des ouvrages achetables ou
repérables sur internet, tels que les e-books et les périodiques électroniques.
Plus spécifiquement, j‟ai utilisé des textes sur le système agricole mondial; des documents
officiels émanant d‟organisations et de conférences internationales; des textes et des articles
scientifiques ou provenant de la presse associative sur le développement et l‟agriculture
durables; des textes sur l‟histoire du développement et sur sa critique; des textes sur l‟histoire
et l‟actualité du Ghana, ainsi que sur son agriculture; des manuels techniques d‟agriculture et
d‟agroforesterie en zone tropicale et les documents des cours de KITA.
2.4. Conférences et cours universitaires
Au cours des deux dernières années, surtout grâce à la vivacité culturelle de la ville de
Bruxelles, j‟ai eu l‟occasion de participer à de nombreuses conférences sur des thématiques
affines à celle de mon mémoire. En outre, j‟ai profité de quelques passages dans d‟autres
villes, telles que Londres, pour assister à d‟autres conférences.
Finalement, les cours universitaires que j‟ai suivis ont été déterminants; en particulier je
voudrais citer les cours de Théories et pratiques du développement, Introduction générale à
11
l‟étude des pays en développement, Anthropologie du développement et environnement,
Questions d‟actualité dans les pays en développement (Sécurité alimentaire), Questions de
coopération internationale (Les mouvements paysans dans les PVD), Economie du
développement, Institutions économiques internationales, Conception, gestion et évaluation
de l‟aide au développement et quelques cours du programme du bachelier.
2.5. Recherches de terrain
Les données nécessaires pour rédiger le dernier chapitre du mémoire sont en large partie le
résultat de mon expérience de terrain au Ghana.
Seule une partie du travail que j‟ai effectué lors de mon stage est directement liée au sujet du
mémoire, notamment l‟évaluation d‟un projet de développement rural et de soutien à un
groupe de paysans dans le village d‟Essieninpong, dans le district d‟Ejisu-Juaben de la région
Ashanti. Au-delà des ces tâches, j‟ai profité du fait d‟être sur le terrain pour consulter des
acteurs privilégiés, tels que les paysans et les dirigeants, les étudiants et les diplômés de
KITA, autant par le biais d‟interviews qu‟à l‟occasion de conversations informelles. J‟ai en
outre participé à des workshops et des séminaires et aux travaux pratiques dans les champs.
Finalement, je n‟ai pas manqué d‟occasions pour tout observer, enquêter et enregistrer dans le
journal que j‟ai tenu quotidiennement tout au long de cette expérience.
Concernant l‟activité d‟évaluation du projet à Essieninpong, j‟ai d‟abord mené des entretiens
avec le personnel de KITA qui s‟occupe du projet et qui travaille en contact direct avec les
paysans et j‟ai étudié le matériel relatif au projet. Ensuite, j‟ai procédé à des interviews, sans
oublier de consulter préalablement des acteurs privilégiés tels que le Président de l‟association
des paysans et le chef du village (aussi pour obtenir son consentement). Quant à la
méthodologie utilisée pour les interviews, j‟ai interviewé tous les paysans directement visés
par le projet. La technique de recherche choisie demandait un relevé des données ad hoc,
12
notamment à travers des interviews standardisées/structurées, avec modalité
d‟administration face-to-face et dont la durée était d‟environ une demi-heure chacune. La
transformation des réponses en chiffres (codification) a été effectuée de façon informatisée et
a été analysée statistiquement pour mettre à jour les données dont KITA disposait sur les
paysans et pour connaître les résultats atteints par le projet, le niveau de satisfaction des
paysans, leur point de vue et leur niveau de conscience par rapport aux objectifs de fond du
12
Question OUI - NON, choix multiple et certaines questions ouvertes
12
13
projet. Pour cela j‟ai essayé de représenter autant la tendance centrale que la dispersion qui
ressortaient de l‟analyse. Ce type de relevé présente une tendance à franchir la ligne de
partage entre techniques quantitatives et qualitatives; cependant vu le type de questions de
départ et l‟analyse que j‟ai conduite, je peux dire qu‟en cette occasion j‟ai plutôt utilisé des
14
techniques quantitatives.
Finalement, à titre de validation des données issues des interviews, j‟ai mené une brève
15
observation expérimentale naturelle, pendant laquelle j‟ai eu l‟occasion de vivre, travailler et
interagir de façon plus libre avec les paysans et d‟éprouver aussi les techniques qualitatives.
Je dois admettre avoir rencontré certaines difficultés lors de la préparation et de
l‟administration des interviews, car mon niveau d‟anglais oral au début n‟était pas excellent.
De plus, comme les paysans étaient illettrés ou ne connaissaient pas l‟anglais ou étaient en
tout cas très ignorants, il m‟a été difficile d‟utiliser un langage qui leur soit compréhensible.
J‟ai également dû gérer quelques problèmes avec l‟interprète, qui n‟était pas très qualifiée:
elle rencontrait des difficultés de traduction et ne comprenait pas l‟importance de traduire
littéralement les questions, mais exprimait déjà son interprétation. Je pense aussi qu‟elle
n‟était pas trop motivée car, même si je lui avais bien expliqué ce que je voulais dire et savoir
avec chaque question, elle continuait à avoir des doutes sur leur sens.
Toujours pendant l‟administration des interviews, j‟ai également rencontré un autre type de
difficulté, plutôt relationnelle, avec le Président du groupe des paysans. En effet, celui-ci nous
accompagnait dans les visites car j‟avais besoin de quelqu‟un qui sache où habitaient les
paysans ou où se trouvaient leurs terrains. Il était quelqu‟un de très gentil et disponible et je
lui avais expliqué que les membres de l‟association auraient pu s‟inhiber s‟ils avaient dû
répondre aux questions en sa présence, alors au début il est resté de côté, mais après quelques
jours il est devenu impatient et a commencé à participer aux interviews et même à intervenir.
Au-delà de ces difficultés méthodologiques, le travail de recherche effectué a été très
stimulant et m‟a permis d‟acquérir suffisamment d‟informations pertinentes pour bien
maîtriser le sujet assez varié de l‟agriculture durable et les perspectives de changement qu‟elle
ouvre.
13
BERNARDI, L., Percorsi di ricerca sociale. Conoscere, decidere, valutare, Carocci Editore, Roma, 2005
14
SCHEYVENS, R., STOREY, D., Development Fieldwork. A practical guide, SAGE Publications,
Londres, 2003
15
Sur le terrain et non in incognito; BERNARDI, L., op.cit.
13
3. DE LA NECESSITE DU CHANGEMENT A LA DURABILITE
3.1. Le système actuel et la nécessité d’un changement
16
L‟agriculture aujourd‟hui pratiquée dans les pays industrialisés, très spécialisée et
standardisée, a commencé à se développer à partir des années 1940 - 1950. Elle utilise
largement machines et produits chimiques, se sert de la sélection des plantes cultivées et des
animaux domestiques. Par contre, elle n‟emploie que 3% de la population; ses fermes sont en
17
majorité de moyenne ou grande taille et ne pourvoient ni à l‟autoconsommation ni à
18
l‟autofourniture et vendent leurs produits sur des marchés régionaux ou internationaux.
Dans les pays en développement la situation est différente, mais ils ont été impliqués eux-
aussi dans une tentative de modernisation du secteur agricole à partir des années 1960 - 1970,
à travers la Révolution verte. Elle a permis une forte augmentation de la production agricole,
19
mais n‟a pas touché à la majorité des petits paysans, car elle était capital intensive et non
labour intensive; au contraire, il s‟est même vérifié une augmentation du nombre des
20
personnes affamées. En général, presque tous les pays sous-développés se sont laissés
fasciner par le mythe du rattrapage, c‟est-à-dire l‟espoir de pouvoir rattraper la distance qui
les séparaient des leurs anciens dominateurs, tout en ayant comme point de repère
l‟expérience européenne et américaine de la croissance et de l‟industrialisation; pour cette
raison, l‟agriculture (sauf celle d‟exportation) a été négligée au sein des économies
21
nationales.
Les conséquences environnementales de ces deux révolutions sont très graves autant au
niveau global qu‟au niveau local, elles impliquent notamment la pollution sous diverses
formes: soit dérivant de l‟utilisation des produits chimiques à tous les stades, soit de la
16
Ce qui est économiquement inefficient, car pour chaque microclimat existent des plantes spécifiques, qui ont
les caractéristiques pour mieux s‟y adapter et donc nécessitent de moins d‟intrants externes: engrais et pesticides
pour les plantes et aliment bétail enrichi et médicaments pour les animaux
17
On estime qu‟environ 90% des exploitations agricoles familiales ont disparu dès l‟après-guerre. Des
conséquences en ont été l‟exode agricole, l‟urbanisation, le chômage, la diminution des services disponibles pour
ceux qui restent à la campagne, etcetera
18
MAZOYER, M., ROUDART, L., op.cit.; NORBERG-HODGE, H., GOERING, P.,PAGE, J., From
the Ground Up. Rethinking industrial agriculture, Zed Books et The International Society for Ecology and
Culture, 2001
19
MAZOYER, M., ROUDART, L., op.cit.
20
DE SCHUTTER, O., Conférence The Right of Food, School of Oriental and African Studies (SOAS), 1
décembre 2009, Londres
21
MAZOYER, M., ROUDART, L., op.cit.; NAHAVANDI, F., Du développement à la globalisation. Histoire
d’une croyance occidentale, Bruylant, Bruxelles, 2005
14