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banlieues ont été le véritable symptôme d’un système social qui ne marche
plus.
C’est pour cette raison qu’on a voulu analyser ce phénomène, pour mieux
comprendre quels sont les facteurs qui déterminent l’état de dégradation
urbaine et sociale des fameuses banlieues françaises et de l’insidieux
processus de ghettoïsation, ethnicisation et criminalisation qui est déjà bien
engagé.
Le parcours que nous avons suivi nous a été suggéré par l’activité d’Azouz
Begag, une activité multiple d’écrivain, de sociologue et de ministre.
Dans « Le gone du Chaâba », son premier roman, nous allons repérer tous les
éléments qui ont joué un rôle fondamental dans la naissance et le
développement des banlieues : le logement, le travail, l’école, la langue et la
religion ; grâce aux études sociologiques d’Azouz Begag, nous analyserons ces
éléments et enfin nous approcherons le phénomène des banlieues d’un point
de vue politique et législatif à travers son activité ministérielle.
Ce roman, donc, nous accompagnera tout au long de la première partie de
notre dissertation : quelquefois il sera un exemple qui confirmera des analyses
sociologiques, tandis que d’autres fois il sera le point de départ pour une
réflexion plus vaste. Parfois il ne sera pas possible de l’utiliser comme
instrument d’analyse parce que l’histoire d’Azouz et de sa famille se déroule
dans une période historique désormais passée.
Dans la deuxième partie on reconstruira les récents événements concernant les
banlieues et on réorganisera d’une façon systématique les mesures prises par
le gouvernement.
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Enfin on cherchera à faire un bilan de la situation actuelle de la France et
surtout on tentera de répondre aux questions principales : le phénomène des
banlieues, est-il vraiment un problème lié à l’immigration? Comment pourra la
France s’en sortir de cette crise sociale ?
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Première partie
De « Le Gone du Chaâba » aux banlieues
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INTRODUCTIONS
Azouz Begag : le symbole de l’intégration réussie
Azouz Begag est né en 1957 à Villeurbanne, à la
périphérie de Lyon, d’un père arabe et d’une mère
kabyle qui a choisi d’émigrer en France en 1949. Les 10
premières années de sa vie se passent dans une
baraque en planche sur les bords du Rhône, avant de
déménager, avec ses parents et ses sept frères et
soeurs, dans une barre d’immeuble, à la cité Duchère.
Encouragé par ses parents, il a vite compris que l’école est la clef de la
réussite. Avec un doctorat en sciences économiques, il est devenu enseignant
à l’Ecole Centrale de Lyon, avant d’être chargé de recherche en socio-
économie urbaine au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en
1986 et puis visiting professor à l’Université Cornell de New York. De plus en
plus sur la scène publique, il passe régulièrement sur France-Culture et RTL,
en tant que chroniqueur et membre du Conseil économique et social.
La même année, il commence à écrire son premier roman, Le gone du Chaâba,
en s’inspirant de son enfance dans le bidonville. Le roman, pour lequel il obtient
en 1987 le Prix Sorcières et le Prix Bobigneries, sera adapté au cinéma dix ans
plus tard par la régie de Cristophe Ruggia, en 1997.
Sa stricte collaboration avec Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur,
a commencé quand il a été chargé, en mai 2004, d’une rédaction d’un rapport
sur l’égalité des chances. Dans cette étude qu’il intitulera « La République à ciel
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ouvert » il explique les motivations qui sont à l’origine du manque d’intégration
des immigrés en France et de la crise des banlieues.
Membre d’aucun parti, M.Begag a été choisi par Dominique de Villepin comme
ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Azouz Begag
préfère cet intitulé au terme "intégration" utilisé par la gauche et SOS Racisme:
« Les beurs ont envie de se venger de l’escroquerie socialiste, et la droite, avec
son pragmatisme, a raflé la mise » explique-t-il au Monde. L’écrivain rumine ses
rancoeurs contre la gauche, qui l’a ignoré. Courtisé par la droite, il se verrait
bien « l’ambassadeur de Lyon », mais il refuse de devenir la "caution" d’un
parti: « Je veux rester écrivain et esprit libre. Je veux garder de la complexité ».
Beaucoup de Français le considèrent le symbole de l’intégration réussie, mais
récemment certains d’entre les jeunes des banlieues, auteurs et victimes de la
dégradation et des violences de quartier, sont en train de changer d’avis.
Le Gone du Chaâba
Le gone du Chaâba est un point de départ pour la découverte de la culture
arabe-française qui est devenue désormais partie intégrante – mais pas
toujours intégrée - de la France d’aujourd’hui.
Le protagoniste est Azouz Begag même, qui nous conduit tout au long du
parcours d’intégration et réussite d’un jeune gamin lyonnais, fils d’immigrés
algériens qui ont fui la pauvreté et la guerre. De page en page les nombreux
personnages, à travers leurs différents destins, retracent l’itinéraire complexe
de cette immigration dont les acteurs sont véritablement déchirés entre leur
pays d’origine et la France.
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Quelqu’un se cache dans le Chaâba qui devient son petit morceau d’Algérie ;
quelqu’un d’autre cherche sa place dans une France qui lui demande, pour y
être toléré, de s’éloigner toujours plus de ses racines ; enfin il y a le petit Azouz
qui n’est capable d’accepter ni l’une ni l’autre solution et cherche une autre
voie.
Azouz est né en France, il est lyonnais, mais il est au même temps un Arabe,
ainsi il est citoyen de nulle part. Le seul endroit où il se sente chez lui est
l’intérieur de lui-même, l’âme d’un gamin curieux qui veut tout comprendre et
tout apprendre et réalise que l’école est sa seule planche de salut. Sans doute
son choix a été efficace : le petit Azouz est devenu aujourd’hui M.Begag,
écrivain et homme politique qui a su faire cœxister sa France et son Algérie en
lançant « un message d’espoir en faveur de l’intégration par le savoir, sans le
renoncement à sa propre identité ».
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2
Azouz Begag, Le gone du Chaâba, Édition du Seuil, Paris, 1986.
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ENTRE LOGEMENT ET DEMENAGEMENT
Le Chaâba
C’est le 1966 et le petit Azouz, neuf ans, habite le Chaâba de son père, un
bidonville de vingt et une familles, toutes immigrées du petit village d’El Ouricia.
Il s’agit d’une véritable communauté algérienne installée sur le territoire
français, un petit microcosme où toutes les familles sont organisées de la
même façon : les hommes vont travailler, les femmes restent à la maison et les
plus petits vont à l’école.
Toute la vie d’Azouz, son parcours humain et intellectuel, a comme pivot ces
deux éléments : le Chaâba et l’école.
Le bidonville représente son σarabicité σ , les liens familiaux et la tradition, tandis
que l’école est la seule possibilité pour découvrir du nouveau, pour connaître
les vrais Français.
Une grande porte en bois garantit l’accès au Chaâba et au même temps le
cache de tous yeux indiscrets. La grande allée centrale, à moitié cimentée,
cahoteuse, sépare deux grands groupes de baraques. Au centre il y a la
maison de béton d’origine - celle dans laquelle habite Azouz - qui désormais
n’est presque plus distinguable des baraquements. Au bout de l’allée, la guérite
des WC est bien isolée. Les hommes du Chaâba ont creusé un énorme trou
dans le jardin destiné à recevoir un gros bidon de fuel domestique. Autour de
cette cuve, un abri en planche a été édifié : le bidonville a maintenant son
installation sanitaire. Mais quand il fait noir les enfants savent qu’ « il ne faut
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pas aller aux toilettes, ça porte malheur, et puis c’est là que l’on trouve les
djoun, les esprits malins »
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.
Il y a un seul point d’eau, une pompe manuelle qui tire de l’eau potable du
Rhône, l’bomba (la pompe) et chaque femme dispose en permanence d’un
bidon d’eau dans sa baraque. Elles ont organisé des tours de rôle pour le
nettoyage de la cour, du jardin et des WC, mais il y a presque tous les matins
quelqu’une qui ne les respecte pas et « au Chaâba les nerfs flachent
facilement ». C’est ainsi qu’un matin, vers six heures, le Chaâba peut s’animer :
il suffit qu’une femme se lève tôt et occupe l’bomba pour faire une lessive plus
longuement que d’habitude pour que toutes les femmes sortent des baraques
et commencent à se battre.
« Clan contre clan, derrière les ténors du Chaâba, ma
mère et ma tante Zidouma, les femmes
s’empoisonnent la vie.
- Qu’Allah te crève les yeux...souhaite l’une.
- J’espère que ta baraque va brûler cette nuit, chienne,
et que la morte t’emporte pendant ton sommeil,
rétorque l’autre. »
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Mais les soirs, quand les hommes rentrent du travail, personne ne dit rien de
tout ce qui s’est passé dans la matinée parce qu’elles ne veulent pas semer la
discorde entre les hommes.
Le soir le Chaâba tombe vite dans l’obscurité. Les papiers peints, posés à la
hâte sur les planches pour donner l’illusion du beau, sont allumés par des
lampes à pétrole et le silence est interrompu seulement par les voix des radios
3
Id., p. 13.
4
Id., p. 9.
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qui « murmurent de la musique arabe à des nostalgiques tardifs »
5
. Sur des
matelas jetés à même le sol, les enfants se serrent les uns contre les autres,
les femmes rêvent d’évasion, les hommes, du pays.
Malgré tout, rien ne change au Chaâba : les baraques sont toujours plantées à
la même place et personne ne déménage. L’harmonie du Chaâba se coupe en
occasion de l’arrivé de la police : ils ont découvert l’abattoir clandestin de
Bouzid, le frère du chef du Chaâba.
« Je conduis les représants de l’ordre et de la justice
jusqu’à la mare de sang séché. Au-dessus pendent
des crochets, où l’oncle suspend les bêtes pour les
dépecer. Ici et là sont jetées des peaux de mouton
encore fraîches qui attendent d’être traitées. Elles
dégagent une odeur effroyable, que l’inspecteur ne
supporte pas. »
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Le Chaâba a été violé et le prix à payer pour la honte et l’honneur perdu du clan
est intolérable : «C’est une honte pour nous tous, Bouzid, pas seulement pour
toi »
7
.
Bouzid a cessé d’égorger les moutons et la haine entre les deux frères s’est
dissipée, mais elle a fait place à l’indifférence, « une terrible indifférence qui
ronge l’âme du Chaâba ».
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5
Id., p. 65.
6
Id., p. 125.
7
Id., p. 135.
8
Id., p. 137.