2
Nous essayerons donc de voir quels sont les avantages du choix de la reconnaissance
mutuelle plutôt que du pays d’origine, et de vérifier quel est le fondement des critiques
qui ont été formulées contre ce dernier principe.
Finalement, il est important de souligner que la matière est très actuelle et en
évolution constante.
Dans la conclusion de ce mémoire, nous ferons de brèves références aux
développements futurs qui probablement vont affecter la proposition de directive.
3
TITRE 1: LE PRINCIPE DE LA RECONNAISSANCE MUTUELLE
Naissance, développement et mise en œuvre dans le secteur des services
Chapitre 1: le rôle de la reconnaissance mutuelle dans la construction du marché
intérieur
SECTION A
ξ Les défis de l’intégration du marché intérieur
L’un des objectifs fondamentaux de l’action de l’Union Européenne, énumérés à l’art. 2
du traité CE, est la création d’un marché unique, capable de promouvoir le
développement économique harmonieux de la Communauté.
L’intégration économique communautaire en vue de l’établissement d’un marché
européen intégré a constitué dès le début un véritable défi, étant donné la présence de
marchés nationaux cloisonnés et régis par des systèmes normatifs très différents entre
eux.
La démarche d’intégration suivie par les institutions européennes s’est articulée en deux
parcours divergents et complémentaires: tout d’abord, l’abattage progressif des barrières
tarifaires et non tarifaires; ensuite, le rapprochement des législations par le biais de
l’harmonisation.
Les articles du traité relatifs à la libre circulation des facteurs de production et certaines
mesures législatives, comme la directive 70/50, visent explicitement l’élimination de
tout obstacle capable d’empêcher le flux intracommunautaire des marchandises,
services, travailleurs et capitaux, dans un esprit de déréglementation (les lois nationales
contraires à ces provisions doivent être éliminées) et d’intégration négative
1
. On peut
affirmer qu’ils constituent la pierre miliaire du marché unique.
De l’autre coté, le législateur communautaire a souhaité adopter une démarche «active»,
à travers la réglementation au niveau européen de certains secteurs de l’activité
économique caractérisés par l’existence de normes nationales divergentes de nature non
tarifaire, capables d’empêcher le commerce communautaire.
1
Ce terme indique seulement l’aspect d’élimination des barrières au commerce et est dépourvu de
connotation négative.
4
Pendant les années ‘60-’70, la Commission a donc donné vie à un ample processus
d’harmonisation «totale» de ces secteurs et les standards auxquels les produits devaient
répondre dans les différents EM étaient établis de façon très précise au niveau européen.
Cette harmonisation a souvent abouti à l’élaboration de normes très complexes et
détaillées et à la naissance de toute une série d’«Euro produits», uniformes et
homologues dans chaque EM.
Si, d’une part, l’harmonisation présentait l’avantage d’exclure l’invocation de la part
des EM d’intérêts légitimes (protection de la santé, intérêt publique etc.) afin de
sauvegarder ses propres législations, de l’autre, elle a entraîné un excès de
réglementation (over-regulation), une interférence très forte dans l’autonomie
réglementaire des Etats membres, une difficulté d’implémentation et un déterrent à
l’innovation
2
.
Au niveau du commerce intra-communautaire, la situation qui se présentait aux yeux
des opérateurs économiques était la suivante: soit les normes de fabrication d’un produit
étaient harmonisées et il fallait adapter la production aux standards européens, soit, en
l’absence d’harmonisation, le même produit pouvait entrer et être vendu dans un autre
Etat membre seulement s’il était conforme aux normes de production de ce Pays
(contrôle du pays d’accueil).
Evidemment, ces provisions rendaient difficile une véritable libre circulation des
marchandises et entraînaient des coûts supplémentaires pour les producteurs. Au
contraire, la possibilité de maintenir le contrôle sur la production par les normes du pays
de provenance, lorsqu’elles étaient équivalentes aux normes nationales, aurait permis
d’abattre ou de réduire plusieurs obstacles au commerce.
En résumant, comme la doctrine l’a esquissé
3
, au cours des années ‘60-‘70 le législateur
européen pouvait donc choisir entre trois voies possibles d’intégration du marché
unique: harmoniser le secteur en question, maintenir le contrôle de l’Etat de destination
ou introduire une nouvelle forme de contrôle, celui de l’Etat de provenance.
2
Les «défauts» de l’harmonisation sont bien expliqués dans J. PELKMANS, «European integration,
methods and economic analysis», Essex, Longman, 1997.
3
M. MADURO, «We the Court. The ECJ and the European economic constitution», Oxford, Hart
Publishing, 1998.
5
Le Principe de la Reconnaissance Mutuelle (PRM) a déclenché une nouvelle approche
révolutionnaire dans l’intégration économique communautaire, en substituant au
principe du contrôle de l’Etat de destination celui du Pays de provenance.
ξ La naissance de la reconnaissance mutuelle: Cassis de Dijon
Le PRM, tout en étant mentionné au niveau des traités dans deux articles
4
, est né pour la
première fois dans le cadre de la jurisprudence de la Cour de Justice.
Dans le célèbre arrêt «Cassis de Dijon», la Cour a jugé que le refus de l’Allemagne
d’accepter la liqueur française Cassis sur son territoire, au motif de son manque de
conformité à la législation nationale en matière de degré alcoolique, avait l’effet
d’empêcher la libre circulation du Cassis et pour cette raison pouvait être considéré
comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, contraire à l’art. 28
du traité.
La Cour en fait relevait que la liqueur Cassis était conforme aux normes de production,
certification et contrôle françaises (pays de provenance) et l’Allemagne (pays de
destination) devait reconnaître ce produit comme équivalent aux produits nationaux
comparables.
La Cour a donc souhaité dégager le PRM, en disant
« […] qu’il n’y a donc aucun motif valable d’empêcher que des boissons
alcooliques, à condition qu’elles soient légalement produites et
commercialisées dans l’un des Etats Membres, soient introduites dans tout
autre Etat Membre sans que puisse être opposée, à l’écoulement de ces
produits, une prohibition légale [...]
5
».
Dans d’autres termes, la Cour a affirmé qu’il est nécessaire de permettre la libre
circulation des produits fabriqués selon les normes nationales des EM, en reconnaissant
l’équivalence substantielle de ces systèmes de réglementation.
4
TCE, art. 47 et art. 293, cités par A. MATTERA, «Le principe de la reconnaissance mutuelle et le
respect des identités et des traditions nationales, régionales et locales», RDUE, 2, 2004, 12.
5
CJCE, 20/02/1979, Rewe-ZentralAG contre BundesmonopolverwaltungFurBranntwein, aff.120/78,
Rec.p.648.
6
Dans sa communication du 1980, la Commission a précisé que «tout produit importé
d’un Etat Membre doit en principe être admis sur le territoire de tout autre EM s’il est
légalement fabriqué (c’est à dire s’il est conforme à la réglementation ou aux procès de
fabrication loyaux et traditionnels du pays d’exportation) et commercialisé sur le
territoire de ce pays
6
». En outre, «l’acceptation de ces principes implique que les EM,
lors de l’élaboration de réglementations commerciales ou techniques [...] ne sauraient se
situer dans une perspective exclusivement nationale et ne tenir compte que d’exigences,
aussi légitimes qu’elles soient, propres aux seuls produits nationaux. Le bon
fonctionnement du marché communautaire exige que les EM tiennent également
compte des exigences légitimes propres aux autres Etats
7
».
Il découle de ce qui précède que l’Etat de destination d’un produit a l’obligation de
reconnaître les réglementations techniques et procédurales de l’Etat de provenance, sur
la base d’une présomption d’équivalence avec ses propres normes nationales. Le PRM
se base donc sur la confiance mutuelle dans les capacités régulatrices des autre EM et
sur l’acceptation des modalités de production qui, tout en étant formellement
différentes, garantissent le même standard de production.
A la lumière du contenu de la jurisprudence et de la communication de la Commission,
on peut donc définir le PRM comme «une norme contractuelle entre gouvernements qui
prévoit un transfert de l’autorité réglementaire du Pays (ou juridiction) d’accueil, où la
transaction a lieu, au Pays (juridiction) de provenance d’un produit, une personne, un
service ou une entreprise
8
». Le mot «reconnaissance» fait référence aux concepts
d’équivalence, compatibilité ou, au moins, d’acceptation, tandis que l’adjectif
«mutuelle» se réfère plutôt au transfert simultané et réciproque de l’autorité
réglementaire
9
.
Il s’ensuit que le PRM représente une forme de réponse à une question fondamentale:
«comment essayer de réconcilier le libre commerce avec les objectifs réglementaires
des Etats, à savoir comment réduire ou éliminer l’impact sur le commerce de différents
normes nationales sans sacrifier ces objectifs légitimes?
10
».
6
Communication de la Commission, JO C256, 3/10/1980.
7
Ibidem.
8
K. NICOLAIDIS, «Mutual recognition and regulatory regimes: some lessons and prospects»,
Cambridge - Harvard Law School, 1997, 2.
9
Ibidem.
10
Ibidem.