Luca Pulci et sa place dans la culture du XVe siècle italien

La première Pístola du recueil de Luca Pulci semble être à la fois une introduction aux dix-sept épîtres suivantes et leur clé de lecture. Comme tout prologue, elle obéit à la nécessité de présenter le point de vue de l'auteur par rapport à la suite de l'œuvre, mais également, dans le cas spécifique, à des exigences plus concrètes (la demande de retourner à Florence). Elle est conforme surtout au caractère allusif du genre pastoral auquel l'auteur se rattache consciemment dans la deuxième partie du texte. En effet, si, grâce surtout aux études de Stefano Carrai, le sens de la première partie peut être considéré comme dévoilé, en revanche le cryptage du texte que l'auteur a mis en œuvre dans la deuxième partie n'a pas trouvé, jusque-là, un décodeur adapté. Tandis que dans la première partie prévaut l'intention de célébrer Laurent de Médicis et sa famille, les implications polémiques de la deuxième partie détournent la trame poétique vers un vocabulaire tourmenté et un dialogue obscur. Les registres linguistiques aussi se diversifient dans les deux sections : si le ton lyrique empruntant ses caractéristiques aux conventions du genre de l'éloge – notamment le recours à la mythologie classique et au lexique élevé – l'emportent dans la première partie, dans la deuxième les instruments de la poésie pastorale – zufoli, fistole, zampogne (cf. v. 65, 71, 86) – deviennent synonymes d'un langage plus libre, de l'altération du mètre, d'une structure dialogique dans le style des Bucoliques de Virgile.
Mais, en réalité, le dialogue est présent dans toute la Pístola, et c'est un autre élément qui la différencie des épîtres suivantes (où les insertions de dialogues sont sporadiques et marginales). On peut cerner cinq personnages s'alternant dans l'épître, chacun avec un rôle précis : Lucrezia Donati et une napée (nymphe des bois) dans la première partie, Lucrezia et les trois frères Pulci dans la deuxième. L'auteur fictionnel de la Pístola est Lucrezia Donati, ce qui permet à Luca de présenter l'épître, entre autres, comme le récit d'une double rencontre, entre Lucrezia et la napée d'une part, d'autre part entre Lucrezia et les frères Pulci. Ce n'est en effet qu'à la fin de l'épître que Luca Pulci formule son imploration de rentrer à Florence, en chargeant implicitement Lucrezia de transmettre ce vœu à Laurent. Le vœu est donc l'aboutissement d'un cheminement complexe où la triste condition des frères Pulci exilés de Florence à cause des dettes de Luca est évoquée en passant par la célébration de la famille Médicis et où elle est soustraite à la logique d'une responsabilité personnelle pour être insérée dans le cadre plus général de la vie socio-économique florentine. C'est dans ce but subtil que la poésie pastorale fournit à l'auteur les moyens pour dissimuler sa pensée ou, du moins, la rendre plus acceptable.