13
INTRODUCTION
L’11 septembre 2001, l’attaque de Al-Qaïda contre les Tours Jumelles et le
Pentagone, aux États-Unis, marque le début d’un chapitre de l’histoire du
terrorisme que nous ne pouvons que définir comme particulièrement
sensible et en même temps honteux; dans ce chapitre, on peut bien
reconnaître le spectre de la violation des droits de l’homme, en particulier
au regard de la pratique des restitutions extraordinaires, pratique qui est
l’objet d’étude de ce mémoire. C’est un chapitre dans lequel les
protagonistes sont, sans aucun doute, la violence et la peur, cette dernière
étant une des méthodes les plus efficaces pour la création d’une condition
d’insécurité dans la société, qui peut être la base pour la dévastation des
principes fondamentaux du droit international mis en place au XX siècle.
Depuis cette date, en effet, certains principes qui faisaient partie de notre
tradition juridique, comme par exemple l’interdiction de la torture et des
traitements inhumains et dégradants ou bien la garantie d’un procès
équitable, ont été vidés de leur contenu, au nom de la lutte contre le
terrorisme.
Le développement du programme des restitutions extraordinaires a
abouti à la naissance d’une controverse dans le monde occidental, au
sujet du transfert de prisonniers d’un État à un autre, et plus
spécifiquement, au regard des conditions de ce transfert. Les accusations
se concentrent surtout sur les méthodes utilisées pendant les
interrogatoires des prisonniers suspectés d’être impliqués dans des actes
terroristes et sur leurs brutalités, comme également, sur la nature
clandestine de ces interrogatoires et sur la façon de juger les prisonniers
en question. Avant de donner une définition pour cette pratique, nous
Introduction
14
devons tout d’abord dire que les États qui soupçonnent quelqu’un de
terrorisme et qui veulent transférer ce sujet dans un autre pays pour le
faire emprisonner, ou bien l’interroger, disposent de deux moyennes:
l’extradition et la restitution. L’extradition peut être définie comme la
procédure par laquelle un État livre à un autre État une personne
poursuivie ou condamnée par la justice de ce dernier; la procédure
d'extradition relève d'une convention entre États, établie selon les règles
du droit international public
1
; en revanche, la restitution est le transfert
de la personne soupçonnée de terrorisme, de façon « extrajudiciaire »,
c’est à dire en dehors du système juridique et bien évidemment sans la
possibilité pour les sujets de contester leur transfert et les modalités de ce
dernier devant un tribunal du pays d’origine. Cette deuxième pratique a
augmenté depuis le 11 septembre, en particulier aux États-Unis, mais
nous devons souligner que le programme n’aurait pas pu exister sans la
participation active des gouvernements européens et de leurs services
secrets. Les sujets soupçonnés d’être des terroristes, sont transférés dans
un territoire où les lois permettent d’interroger les prisonniers par le biais
de méthodes brutales
2
, c’est pourquoi, avec l’expression « restitutions
extraordinaires » on veut indiquer une restitution pouvant impliquer le
risque de torture. Il est de notre devoir de rappeler que l’interdiction de la
torture existe comme principe fondamental du droit international
1
Définition Dictionnaire Larousse, disponible en ligne sur
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/extradition/32442 (Date d’accès: 11
septembre 2016). Pour être précis, les sources du droit de l'extradition sont de deux
sortes: le droit international et la loi nationale: s'agissant des lois nationales sur
l'extradition, leur contenu est très variable: elles peuvent par exemple fixer les règles de
procédure d'extradition ou définir les conditions devant figurer dans les traités
d'extradition à venir. Voy. SALERNO, F., Diritto internazionale: Principi e norme,
CEDAM, 2013, chap. VII, pp. 356 suiv.
2
GARCIA, M. JOHN, Renditions: Constraints Imposed by Laws on Torture, Congressional
Research Service Report for Congress, 12 octobre 2007 disponible en ligne sur
https://fas.org/sgp/crs/natsec/RL32890.pd (Date d’accès: 17 septembre 2016)
Introduction
15
coutumier, donc, comme principe reconnu universellement
3
: cela signifie
que l’on discute d’un principe ne pouvant faire objet de dérogation et
surtout qui est capable de lier même les États n’ayant pas ratifié les
conventions internationales visées à la protection des droits de l’homme:
aucune situation d’urgence ne peut justifier la torture, même pas la lutte
contre le terrorisme
4
. Après le 11 septembre 2001 les Nations Unies ont
publié une déclaration contenant une condamnation contre le terrorisme,
ainsi qu’une invitation pour les États à adopter des mesures contre le
terrorisme en conformité avec les obligations prises par les États en
ratifiant la Convention.
5
Indubitablement, quand un État qui a
l’obligation de ne pas soumettre les individus à la torture, confie la
torture à un autre État, il y a a fortiori une violation indirecte de cette
obligation.
Ce travail partira tout d’abord de la délimitation des concepts qu’il est
nécessaire de connaître afin de pouvoir bien analyser et comprendre le
véritable objet de notre étude: la définition du terrorisme, l’histoire de ce
phénomène et son actuelle connotation internationale ainsi que son
influence dans le principe de l’État de droit. La deuxième étape sera
l’analyse du contexte historique et juridique après le 11 septembre, en
attirant l’attention sur le Military Order qui a mis en place aux États-Unis
des tribunaux militaires d’exception chargés de juger les étrangers
3
Dans le deuxième chapitre nous expliquerons qu’un certain nombre d’auteurs
considèrent l’interdiction de la torture comme une norme relevant du jus cogens, mais
la portée de l'interdiction est litigieuse.
4
Association of the Bar of the City of New York et Center for Human Rights and
Global Justice, Torture by Proxy: International and Domestic Law Applicable to
Extraordinary Renditions, 2004
5
Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Comite contre la torture,
Déclaration du Comite contre la torture, CAT/C/XXVII/Misc.7, 22 novembre 2001
Introduction
16
accusés de terrorisme: le contenu de cet ordre et sa conformité au droit
international seront notre objet de discussion dans le premier chapitre
tout comme le rôle joué dans ce programme, par les pays membres du
Conseil de l’Europe, et donc, les pays signataires de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui explicite à son article 3,
l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains et
dégradants.
Mais encore, nous analyserons les méthodes utilisées pour interroger les
prisonniers soupçonnés d’être des terroristes et en particulier, comment
ces méthodes peuvent être qualifiées de torture, pratique dont on a déjà
rappelé qu’elle est refusée et condamnée par la communauté
internationale.
En effet, en Novembre 2005, les medias commencèrent à divulguer
l’information que non seulement la CIA avait opéré des restitutions
extraordinaires avec la collaboration des pays européens, mais encore,
des pays comme la Roumanie et Pologne étaient suspectés d’accueillir
des « sites noires » dans le but d’emprisonner les victimes du programme
des restitutions extraordinaires et cette situation, à l’évidence paraît
incompatible avec les valeurs partagées par la Convention européenne
des droits de l’homme
6
.
Dans le deuxième chapitre nous analyserons les traités internationaux
pertinents dans le contexte de la protection des droits de l’homme, pour
démontrer l’incompatibilité de la pratique en question avec le droit
international.
6
MARTY, D., Commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
Allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus concernant des États
membres du Conseil de l’Europe, Projet de rapport Partie II (Expose des motifs), 7 juin
2006, disponible en http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2006/20060606_
Fjdoc162006PartII-FINAL.pdf (Date d’accès: 31 aout 2016).
Introduction
17
Par la suite, le dernier chapitre sera dévoué à l’affaire Abou Omar contre
Italie: notre attention sera destinée au rôle de l’Italie et en particulier du
SISMI et finalement, à la question de l’utilisation du secret d’état dans la
lutte contre le terrorisme.
19
CHAPITRE I
LA RELATION PROBLÉMATIQUE ENTRE LA LUTTE CONTRE LE
TERRORISME ET LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME: LA
PRATIQUE DES REMISES EXTRAORDINAIRES
Sommaire 1. Les fondamentaux: le phénomène du terrorisme
international; - 1.1. Le terrorisme: un mot chargé d’histoire; - 1.2.
Terrorisme international; - 1.3. La définition du terrorisme: une
recherche comparable à la quête du Saint Graal; - 1.4. Les différentes
positions de la doctrine; - 1.5. Sécurité nationale et droits de l’homme:
une cohabitation difficile; - 2. Le programme des restitutions
extraordinaires: les turpitudes de la CIA et le sacrifice des droits de
l’homme au nom de la sécurité ; - 2.1 La « War on Terror »: le principe
du procès équitable à la dérive; - 2.1.1. Analyse du Military Order; -
2.1.2. Conformité des commissions militaires au droit international
humanitaire et au droit interne des États-Unis; - 2.2. L’évolution du
programme; - 2.2.1. Un programme mondial: la collaboration des
États européens; - 2.2.2. Les composantes du programme; - 2.3.
Typologies de la collaboration des pays membres du Conseil de
l’Europe; - 2.3.1. Modus operandi: la première phase de sécurité; -
2.3.2. Les interrogatoires renforcés: le problème de l’autorisation à
procéder par le gouvernement américain; - 2.4. Interrogatoires
renforcés: un euphémisme pour « torture ».
1. Les fondamentaux: le phénomène du terrorisme international
1.1. Le terrorisme: un mot chargé d’histoire
En discutant de terrorisme, on a l’impression que ce mot est né suite aux
attentats du 11 septembre mais il est incontestable que cette vision est
tout à fait incorrecte. Sans nul doute possible, évoquer aujourd’hui la