7
Le témoignage dont j’ai voulu me servir pour commencer l’introduction du mémoire est
vraiment capitale pour comprendre la relation spéciale qui s’est créée entre ces deux pays à
partir de la deuxième guerre mondiale.
La venue en Italie des certains hommes politiques américains, tels que le Président ou le
Secrétaire d’Etat sont considérés comme capitales pour les fragiles équilibres politiques italiens.
La célèbre visite de Kennedy à Rome et Naples en 1963 est considérée comme indispensable
pour obtenir de la part américaine l’aval pour l’essai de centre-gauche souhaité par les
démocrates-chrétiens et les socialistes de Pietro Nenni.
En revanche, les visites aux Etats-Unis des hommes politiques italiens devaient offrir le
renouvellement de la confiance et du soutien américain au gouvernement italien dans ses
projets ; parfois une seule photo pouvait en être la preuve. Particulièrement nombreuses sont les
rencontres à Washington dans ces années : Saragat, Moro, Fanfani s’y rendent à plusieurs
reprises pour discuter non seulement de la politique italienne mais aussi des enjeux atlantiques et
européens sans oublier la délicate question du Vietnam.
Toutefois si on analyse les relations diplomatiques entre Italie et Etats-Unis dans la longue
période, on s’aperçoit qu’avant le deuxième conflit mondial, les Etats-Unis et l’Italie n’avaient
pas entretenu des rapports particulièrement étroits. C’est vraiment la naissance de la République
italienne qui offre aux uns et aux autres la possibilité d’exploiter comme jamais auparavant, le
nouveau statu quo crée.
Les motivations deviennent fortes des deux cotés : les Etats-Unis doivent empêcher le
basculement, dans le champ soviétique, d’un Etat « occidental » qui, en outre, pour sa position
stratégique dans la Méditerranée est le vrai garde fou du monde démocratique.
De l’autre, on ne peut pas ne s’appuyer sur le géant américain pour redresser un pays qui était
prostré du point de vue économique, social et politique. En effet, bien que la recherche porte sur
les années soixante, j’ai pu réellement comprendre, grâce à la lecture de ses mémoires et à
l’entretien accordé par son fils, S.E. Ludovico Ortona, le rôle capital joué par l’Ambassadeur
italien à Washington, Egidio Ortona, non seulement pour les bons rapports entre les deux pays
mais surtout pour la reprise des contacts diplomatiques entre Etats-Unis à la fin de la guerre.
En effet, ce dernier, faisait partie de la première mission diplomatique italienne aux Etats-Unis
après la fin de la deuxième guerre mondiale. Il était accompagné par les meilleurs économistes
du pays, tels qu’ Enrico Cuccia. Il fallait absolument gagner la confiance des Etats-Unis pour
obtenir les moyens nécessaires pour pouvoir reconstruire le pays dévasté par la guerre. Le Plan
8
Marshall et les autres aides suivantes offrirent au pays la possibilité non seulement de se rétablir
au fur et à mesure mais de pouvoir atteindre, seulement une décennie après la fin des hostilités,
des résultats extraordinaires et inattendus, le boom economico.
Egidio Ortona, resta plus de cinq lustres à Washington, en faisant la carrière à l’ambassade
italienne, ce qui lui donna la possibilité d’être connu par l’Administration.
Un sentiment réciproque de confiance qui lui valut l’amitié de Henry Kissinger qui non
seulement adressa à Ortona des documents secrets (« documents for Ortona’s ») mais lui offrit
aussi un dîner historique avec l’Administration, lors de la fin de son mandat.
Avec son savoir faire et sa capacité de comprendre les Américains, Egidio Ortona, a offert à
l’Italie une contribution exceptionnelle que l’histoire ne lui a pas rendu dans les années. Les
pages qu’il a écrit constituent une ressource fondamentale pour toute recherche sur les rapports
italo-américaines de 1948 à 1972 non seulement du point de vue politique mais aussi social, par
exemple, pour mieux comprendre les mœurs et la société américaine de ces années.
L’objectif de la recherche est aussi celui de montrer comment l’Italie a su interpréter la volonté
de rester fidèle aux positions de son grand allié et de l’autre, répondre de façon constructive aux
défis qui posaient les premiers pas des institutions communautaires et les difficultés ajoutées par
la crise française de la chaise vide
2
.
De la part européenne, en effet, on demandait une autonomie d’action majeure qui se concrétisa
avec la réduction si non l’annulation des obligations bipolaires liées aux Etats-Unis. Elle était
aussi l’expression d’autres facteurs, comme le scepticisme français et d’autres pays européens
envers l’effectif engagement des Etats-Unis pour la défense de l’Europe.
On ne peut ne pas oublier aussi l’engagement américain au Vietnam et les perplexités
européennes à cet égard non seulement pour la décision d’intervenir mais également, la longue et
difficile poursuite du conflit. Un argument qui était crucial pour les équilibres de la précaire
situation politique italienne, et qui donna l’occasion pour des confrontations parfois tendues
2
Les recherches conduites au Sénat de la République italienne m’ont donné la possibilité de consulter les documents
de Gaetano Martino, ancien Ministre des Affaires Etrangères italien et ancien Président du Parlement Européen
(1962-1964), véritable père de l’Europe, inspirateur de la conférence de Messine inspiratrice de deux traités de
Rome de 1957.
Cet homme, l’un des « three wise men » de l’Alliance, a aussi offert une contribution indispensable au futur de
l’Otan notamment avec la présentation du rapport sur « la coopération non militaire » du 13 décembre 1956 et qui
sera à la base du successif « rapport Harmel » (le non-isolement de l’Atlantique du Nord du reste du monde).
9
entre les hommes politiques italiens, notamment Amintore Fanfani et l’ambassadeur italien aux
Etats-Unis, Sergio Fenoaltea.
Beaucoup d’états européens rêvaient de pouvoir retourner aux pratiques d’une politique de
puissance nationale et nationaliste, toujours moins praticables dans l’ère de la guerre froide où
deux grandes puissances monopolisaient la scène internationale. Ces critique légitimes et des
hypocrisies, des demandes compréhensibles d’autonomie et des vélléitarismes qui concourraient
à déterminer des choix européens en opposition ouverte avec les Etats-Unis, ont eu leur
manifestations plus éclatantes dans la décision française d’abandonner le commandement intégré
de l’Otan en 1966
3
.
Ces tensions des rapports euro-atlantiques étaient en même temps une expression et la cause
d’un déficit croissant de capacité hégémonique des Etats-Unis ; d’une crise de l’atlantisme et des
ses institutions qui aurait suscité une grande partie des réflexions des experts des relations
internationales de l’époque, y comprises celles de Henry Kissinger.
3
DEL PERO Mario, Henry Kissinger e l’ascesa dei neoconservatori. Roma-Bari : Editori Laterza, 2006, 198p.
10
Première Partie :
LE REGARD ET L’INFLUENCE DES ETATS-UNIS SUR LA POLITIQUE
INTERIEURE ITALIENNE DE 1964 A 1968
11
1. Le premier essai d’un gouvernement de centre-gauche en Italie, avec la participation
indirecte des socialistes, (21/2/1962 – 21/6/1963)
La formation en 1962 d’un gouvernement de centre-gauche représente le « plus grand
changement dans le système politique italien depuis 1948
4
». En effet pour atteindre cet objectif
les socialistes de Pietro Nenni dans leur XXXIV congrès national de mars 1961 avaient reconnu
que la politique étrangère italienne « avait même dans le cadre de l’ Alliance Atlantique de
grandes possibilités de contribuer au rapprochement de deux blocs et au développement de la
détente »
5
. Le leader socialiste expliquait dans un article de Foreign Affairs paru en janvier 1962
que son parti ne soulèverait jamais la question du retrait de l’Italie de l’Otan afin « de ne pas
endommager l’équilibre européen ».
Cette expérience était nécessaire aussi du fait que la DC avait perdu la majorité absolue au
Parlement et devait donc trouver un compromis avec des autres formations politiques. Un autre
facteur de rapprochement avec la gauche fut les évènements qui se produisirent dans le
mouvement International Communiste à partir de 1953 : l’opposition à des pratiques adoptées
dans les années de Staline par Nikita Khrouchtchev et la répression du mouvement de
protestation hongrois en 1956 provoquèrent une désorientation dans la gauche italienne.
La rapide séquence des évènements produits ensuite entre octobre 1962 et janvier 1963 avaient
influencé la vision de Washington du centre-gauche italien. Le comportement sur la crise de
Cuba et sur celle atlantique avait contribué à améliorer l’opinion de l’ Administration américaine
envers la politique italienne même si quelques hésitations avaient été montrées par le
gouvernement de Fanfani
6
. Dans l’ensemble la participation indirecte du PSI à la majorité
4
CIA, Implications of the Center-Left Experiment in Italy, 3 January 1963.
5
MAMMARELLA Giuseppe, L’Italia contemporanea. 1943-1998. 5ed Bologna : Società Editrice il Mulino, 1999,
p. 279-280.
6
CIA, op. cit. : “la coopération de centre-gauche en Italie, ou bien “ouverture à gauche” a fonctionné très bien de
son début du février 1962. La coalition est resté unie, les partis ont montré une certaine élasticité. Il n’y a pas eu des
changements fondamentales dans la politique étrangère italienne, bien que l’ambiguë performance de Fanfani
pendant la crise cubaine peut être interprétée comme un effort pour éviter des actions ou des déclarations qui
auraient pu modifier les équilibres de la coalition.
12
parlementaire n’avait pas endommagé l’ orientation originelle de la politique étrangère
italienne
7
.
Des facteurs intérieurs contribuèrent au même objectif : le difficile gouvernement de Tambroni
qui avait procédé à une alliance entre la DC et l’extrême droite italienne, les néo-fascistes, un
essai qui dura que quatre mois. Le fait que dans des différentes villes italiennes on assistait déjà à
des coalitions entre démocrates-chrétiens et socialistes et enfin le nouveau Pape, Jean XXIII, qui
affirmait dans sa célèbre encyclique « Pacem in Terris », un désengagement de l’Eglise dans la
vie politique italienne et même la volonté de vouloir tolérer une coopération entre le centre et la
gauche.
Les rapports entre les communautés politiques doivent être menés dans la liberté. Cela signifie qu’aucune
d’entre elles n’ a le droit d’exercer une action oppressive sur les autres ou de grave ingérence. Toutes doivent en
revanche proposer une contribution car dans chacune c’est développée un sens de responsabilité, l’esprit d’initiative
[…]
8
D’ autres forces politiques comme les libéraux et l’aile droite de la Démocratie-chrétienne
craignaient que les Socialistes puissent être utilisés comme un cheval de Troie par les
communistes et doutaient même de la sincérité du changement d’opinion notamment en politique
étrangère
9
.
Amintore Fanfani était fermement convaincu de l’ouverture à gauche et il obtenait ainsi du
Président de la République le mandat de former un gouvernement avec la participation de la
Démocrate-chrétienne (DC), du parti social-démocrate (PSDI), des républicains (PRI) avec le
soutien parlementaire du Parti socialiste (PSI).
Ce dernier voulait des réformes qui auraient dû transformer la société italienne et assurer une
majeure justice sociale pour un nombre croissant de citoyens. Dans ce processus, les
7
NUTI Leopoldo, Gli Stati Uniti e l’apertura a sinistra : importanza e limiti della presenza americana in Italia.
Roma : Editori Lazerza, 1999, pp. 586-587.
8
Jean XXIII, Enciclica “Sulla Pace fra tutte le genti nella verità, nella giustizia, nell’amore, nella libertà. III.
Rapporti fra le comunità politiche. 11 aprile 1963. “I rapporti tra le comunità politiche vanno regolati nella libertà. Il
che significa che nessuna di esse ha il diritto di esercitare un’azione oppressiva sulle altre o di indebita ingerenza.
Tutte invece devono proporsi di contribuire perché in ognuna sia sviluppato il senso di responsabilità, lo spirito di
iniziativa, e l’impegno ad essere la prima protagonista nel realizzare la propria ascesa in tutti i campi”.
9
Alan A. PLATT, Robert LEONARDI, American Foreign Policy and the Postwar Italian Left, en Political Sciences
Quarterly, Vol. 93, n,2, pp.197-215.
13
communistes seraient restés isolés et les socialistes auraient enlevé au PCI d’ amples parts de
leur électorat afin de redevoir le plus grand parti de la gauche
10
.
« La collaboration de centre-gauche a fait quelques progrès dans son objectif d’affaiblir et d’
isoler le communistes
11
» mais les doutes américains sur ce nouvel allié de la Démocratie
Chrétienne restent fortes notamment en politique étrangère et dans les rapports avec les Etats-
Unis.
Toutefois, leur participation au gouvernement pourra probablement porter à quelques changements dans la
conduite de la politique étrangère italienne ainsi qu’à une égale réduction du soutien aux E.U. et les positions de ses
alliés sur des questions internationales, en particulier sur celles liés directement ou indirectement à l’Organisation du
Traité de l’ Atlantique du Nord
12
.
Il y avait donc une opposition entre les doutes de l’administration américaine et son propre
Président qui dans un rencontre privée avec le Premier Ministre Fanfani lui avait confié « une
position de sympathie vers les Socialistes Italiens
13
». Même l’ Italian Desk ainsi que l’
Ambassade à Rome étaient enthousiastes de l’ apertura souhaitée par Arthur Schlesinger et donc
par le Président.
Toutefois la fin de la IIIe législature imposait des élections, fixés pour avril 1963 et donc la fin,
après une seule année, du premier essai d’un gouvernement de centre-gauche italien. Celui-ci
avait en tout cas procédé à la nationalisation de l’industrie électrique (ENEL) et à l’institution
d’une Commission nationale pour la programmation économique chargée d’établir un plan de
développement économique. La fin de cette période fut marquée par des frictions concernant la
volonté du PSI de promouvoir un accord avec la DC pour un programme organique conjoint de
centre-gauche. Ceci fut jugée inacceptable par le secrétariat du parti qui préférait affronter la
campagne électorale libre de tout lien qui aurait pu lui nuire vers son propre électorat modéré.
10
Norman KOGAN, Storia Politica dell’ Italia Repubblicana, Roma-Bari : Editori Laterza, 1982, pp.257-259.
11
CIA, op. cit : “Center-left collaboration has made some progress toward its goal of weakening and isolating the
Communist” .
12
Ibidem : “Nevertheless, their participation in the government would probably lead to some changes in the conduct
of Italian foreign policy and probably to some reduction of support for US and allied positions on some international
issues, particularly on those not directly related to the North Atlantic Alliance”.
13
Alan A. PLATT, Robert LEONARDI, op. cit., extrait d’un entretien des auteurs avec McGeorge Bundy, May 18,
1971 : “President Kennedy raised the issue in private with Prime Minister Fanfani and “formulated a position of
sympathy toward the Italian Socialists. In addition, he told Fanfani that “if the Italian Prime Minister thought it a
good idea, we (the United States) would watch developments with sympathy”.