5
Introduction
Il est évident que, de nos jours, l’avènement de la mondialisation des échanges a
entraîné une augmentation exponentielle des volumes de traduction. Cette réalité inédite
a conduit à l'affirmation d'une nouvelle activité dans le monde de la traduction, qui prend
le nom de ‘post-édition’, afin de répondre aux besoins du marché actuel. Il s’agit d’une
pratique fondée sur la collaboration entre les outils d’aide à la traduction, notamment la
traduction automatique, et l’intervention humaine, dans le but d’accélérer le processus de
traduction tout en assurant la qualité des résultats obtenus.
Ce mémoire a pour objet celui d’évaluer l’emploi de la post-édition dans le domaine
juridique, du fait qu’il constitue l’un des champs du savoir les plus traduits au monde.
Cette analyse porte en particulier sur le processus de post-édition effectué en faisant
recours au moteur de traduction automatique neuronale DeepL appliqué à une série de
documents officiels de la Confédération suisse.
Le premier chapitre aborde les événements les plus marquants qui se sont déroulés
au cours de l’histoire de la traduction. Cet aperçu montre comment le rapport entre
l’Homme et la machine a évolué au fil du temps, à partir de l’intention d’automatiser un
processus complexe tel que la traduction. Les outils principaux d’aide à la traduction sont
puis examinés en détail, à savoir : les systèmes de traduction automatique, les systèmes
de traduction assistée par ordinateur, les mémoires de traduction, l’informatique en nuage
et les banques de données terminologiques. Le crowdsourcing relève de ce discours en
tant que phénomène collectif qui met en œuvre des espaces virtuels, où il est possible
d’accéder à plusieurs ressources en ligne, comme les glossaires. C’est ainsi que de
nombreuses plateformes profitent de cette méthodologie de travail pour fournir la version
traduite de leurs contenus dans la plupart des langues existantes au moindre coût, comme
le cas de Amazon et leurs traducteurs bénévoles, qui prennent le nom de Turkers. Les
multiples fonctions et les approches attribuées à la traduction automatique sont
examinées. Plus spécifiquement, les fonctions principales présentées sont les suivantes :
la dissémination, l’assimilation, l’accès aux informations et l’échange. Quant aux
approches identifiées, celle de type neuronal représente actuellement l’approche la plus
importante et utilisée, du fait qu’elle s’appuie sur l’intelligence artificielle, dont les
résultats résultent être davantage fiables, considérant leur capacité d’apprendre en
6
permanence. L’attention se concentre finalement sur le rôle du traducteur dans les
activités de pré- et post-édition, notamment vis-à-vis de l’avenir du monde de la
traduction.
Le langage et la traduction juridique font l’objet du deuxième chapitre. La
linguistique juridique est traitée dans ses aspects fondamentaux, en prenant comme
référence la langue française. Cet approfondissement se concentre sur les particularités
morphologiques, sémantiques et syntaxiques, ainsi que les discours du droit (législatif,
juridictionnel et coutumier). La discussion autour du vocabulaire juridique porte sur les
termes en tant que vecteurs d’un sens juridique qu’il faut toujours préserver lorsqu’ils
sont transposés dans une autre langue. Sur le plan diachronique, les variations de sens et
l’adoption d’archaïsmes et de néologismes sont également abordées. La réflexion sur la
traduction juridique s’articule autour de la méthodologie et des approches adoptées à
l’échelle nationale et internationale, notamment dans les contextes plurilingues à l’instar
de l’Union européenne et du Canada. Comme il existe une influence réciproque entre la
langue et le droit, les problématiques relatives à l’impossibilité de transposer exactement
les textes juridiques dans d’autres langues sont traitées. A cet égard, une importance
particulière est accordée au rôle de l’interprétation et au principe de compréhensibilité,
étant donné la nécessité de rendre les textes juridiques aussi accessibles que possible, afin
de respecter les droits à la libre expression et à la communication, conformément au Traité
sur l’Union européenne. A ce sujet, deux cas spécifiques sont détaillés, ayant en commun
la conception de la langue non pas tant comme moyen, mais comme garantie pour
protéger les droits des citoyens. Il s’agit de l’Union européenne et de la France. Le
premier cas porte sur la directive 2010/64/UE, basée sur la reconnaissance mutuelle des
décisions en matière pénale, alors que le second cas se concentre de façon générale sur
les initiatives les plus remarquables entreprises par le système législatif français pour
assurer la ‘ clarté de la loi’, notamment en termes d’harmonisation linguistique des projets
de loi. Différentes stratégies sont entre autres proposées, dans le but de compenser le
manque d’équivalence entre les systèmes législatifs, qui sont l’expression d’une culture
parfois millénaire. Les techniques illustrées sont les suivantes : l’équivalence
fonctionnelle, l’équivalence formelle, la transcription et la traduction descriptive.
Le troisième chapitre est consacré aux études de cas sur la post-édition en contexte
juridique. Plus spécifiquement, l’opération de post-édition appliquée à une série d’articles
7
législatifs traduits automatiquement par le moteur DeepL, du français vers l’italien, fait
l’objet de ces études. DeepL est un système de traduction automatique qui repose sur les
réseaux de neurones artificiels de façon à produire des traductions précises, pertinentes et
en temps réel. Il s’agit de documents officiels appartenant à trois sous-domaines du droit
suisse : la Constitution fédérale, le Code civil et le Code pénal. Ces textes ont été rédigés
par les services linguistiques de la Confédération suisse, qui sont particulièrement connus
pour assurer la coexistence harmonieuse de plusieurs communautés linguistiques dans ce
pays. En effet, une analyse détaillée sur le fonctionnement des services linguistiques de
l’administration fédérale suisse précède les études de cas. Au-delà de leur organisation et
de leur constitution par rapport aux langues parlées en Suisse, on prend en considération
le rapport entre les figures appartenant à ces services linguistiques et les technologies
d’aide à la traduction, à partir d’une enquête réalisée par le Sous-groupe informatique et
de traduction du pays. Un bilan global des points forts et faibles concernant la pratique
de la post-édition dans les textes de droit mène à terme ce mémoire, incluant des
observations sur les perspectives du secteur de la traduction.
8
Chapitre I
La traduction à l’ère du numérique
I.1 Histoire de la traduction : quelques repères historiques
Il est incontestable que la traduction représente l’une des plus anciennes activités
dans l’histoire, ainsi que l’une des plus énigmatiques. C’est pourquoi elle a toujours
suscité un vif intérêt, comme le témoigne d’ailleurs l’un des pionniers de la
traductologie en France, Michel Ballard : « Qu’un traducteur expose ses problèmes
après avoir effectué une traduction est une démarche réjouissante, intéressante,
enrichissante, puisqu’il va de l’expérience à la conscience de l’expérience, à son
analyse, à sa mise en forme »
1
.
Les premiers témoignages remontent à l’époque de l’Égypte antique, où la
traduction joue un rôle principalement utilitaire. Plus précisément, il s’agit de la
traduction en égyptien de la correspondance avec les civilisations mésopotamiennes,
dont les tablettes d’El-Amarna représentent une trace remarquable.
Quant à la Grèce antique, on constate même un rejet de la traduction, étant donné
le sentiment de supériorité à l’égard de leur langue et leur culture. Il existe cependant
deux exceptions notables, à savoir Platon et Hérodote, lesquels traduisaient les noms
des pharaons égyptiens en grec.
Ce n’est qu’à l’époque de la Rome antique que la traduction connaît ses premiers
signes d’évolution. Ainsi, les premières traductions signées commencent à être
rédigées, notamment celle de l’Odyssée du grec vers le latin par Livius Andronicus. Il
convient d’ailleurs de souligner le rôle prépondérant de Cicéron, puisqu’il fait de la
traduction un objet de réflexion pour la première fois dans l’histoire. En effet, dans son
traité Du meilleur genre d’orateurs, il commente brièvement ses choix de traduction
qu’il a appliqué dans Les Discours pour et contre Ctésiphon : « Je n’ai pas cru
nécessaire de rendre mot pour mot ; c’est le ton et la valeur des expressions dans leur
1
Ballard, Michel. 2013. Histoire de la traduction. Repères historiques et culturels. Bruxelles : De Boeck
Supérieur.
9
ensemble que j’ai gardés »
2
. Cette explication met en évidence la préférence de
l’auteur pour une traduction libre plutôt que littérale, dans le but de garder l’esprit et
le sens du texte d’origine.
L’avènement du christianisme marque le moment où la traduction se concentre
majoritairement dans le domaine religieux. Bien que la première traduction de
l’Ancien Testament de l’hébreu vers le grec, connue sous le nom de La Septante, date
du IIème siècle, la version qui servira de référence dans les siècles à venir est celle
qu’on appelle La vulgate, réalisée au IVème siècle par Saint Jérôme (ou Eusèbius
Hieronymus) de l’hébreu vers le latin.
Les invasions barbares qui signent le début du Moyen-Age entraînent une
désorganisation politique et administrative qui se reflète en conséquence sur la culture.
Les rois qui se succèdent décident d’adopter le latin comme langue de traduction de
nouvelles lois, puisqu’elle était considérée comme la langue du savoir, exception faite
pour l’empereur Justinien, lequel optera pour le grec en vertu de sa longue histoire.
Au VIème siècle les écoles syriaques ont introduit une nouvelle langue de
traduction, à savoir le syriaque, appartenant au groupe des langues sémitiques. C’est à
cette époque que diverses publications de médecine et de philosophie sont traduites du
grec en syriaque.
En Europe, le règne de Charlemagne met de l’ordre dans la question linguistique
par une double opération de restauration du latin classique et de reconnaissance des
langues vulgaires, par suite de l’écart considérable qui s’était créé entre la langue écrite
(le latin), et la langue orale, ou pour mieux dire, les différentes langues vernaculaires.
Un tel exploit inaugure ainsi une période connue sous le nom de « Renaissance
carolingienne ».
En 842, le serment de Strasbourg marque un moment crucial pour l’histoire de
la traduction. Il s’agit de la première trace écrite en langue romaine et en langue
tudesque, qu’on peut considérer respectivement comme les ancêtres du français et de
l’allemand.
2
Ballard, Michel, Histoire de la traduction. Repères historiques et culturels, cit., p. 32.