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fran�aise. Les journaux pris � l�examen ont �t� Le Monde et
Lib�ration pendant une p�riode de temps d�un mois, � partir du 25
mars jusqu�au 25 avril 2001. Le choix des deux journaux n�a pas �t�
fortuit. Pour leur orientation id�ologique, la typologie de lecteurs et la
relative diff�rence de langage, les deux journaux en question
permettent de comprendre les diversit�s linguistiques li�es aux fa�ons
vari�es de s�exprimer et aux modalit�s alternatives de communication.
Le Monde est un journal qui s�adresse surtout � la classe bourgeoise de
la soci�t� fran�aise, un journal qui se veut novateur et particuli�rement
attentif � la r�alit� internationale. Ces caract�ristiques font que le type
de langage employ� soit plus respectueux des contraintes
grammaticales et syntaxiques traditionnelles alors que Lib�ration, plus
proche des milieux de gauche, tr�s int�ress� aux aspects sociaux et
intellectuels, d�montre une plus grande libert� d�attitude et
d�expression linguistiques ; il est donc moins li� � certains
formalismes et � certains proc�d�s de s�v�rit� communicative. Les
r�sultats de l�enqu�te men�e ont r�v�l� des aspects tr�s int�ressants
qui seront expos�s dans les chapitres suivants.
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Il n� y a eu aucune distinction th�matique en ce qui concerne le
choix des articles, justement parce qu� on a cherch� � analyser la
question adjectivale dans son ensemble et surtout dans sa diversit� et
sa multiplicit� formelles et grammaticales. Le travail a proc�d� �
travers la lecture directe des journaux dont on mettait en �vidence les
phrases ou les expressions qui, chaque fois, se r�v�laient plus utiles �
la recherche en cours. On a, donc, form� un v�ritable fichier
d�expressions ou de n�ologismes adjectivaux r�partis selon les
caract�ristiques formelles et les sources de provenance. Son analyse a
permis de parvenir � des conclusions int�ressantes relativement � la
formation, la place et la cr�ation des adjectifs dans la langue fran�aise.
Plus particuli�rement, avant de proc�der au d�veloppement
sp�cifique du sujet en question, il m�a paru indispensable de consacrer
le premier chapitre de ce travail � une analyse de caract�re syntaxique
afin de mettre en �vidence les relations et les rapports existant parmi
les diff�rentes parties qui constituent la phrase. Il s�agit de r�flexions
et de consid�rations d�importance remarquable si on pense au fait que
la langue est un m�canisme o� tout se tient et o� chaque �l�ment,
m�me le plus petit, a sa raison d��tre et une fonction sp�cifique � lui �
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l�int�rieur de la structure expressive. En effet tous les signes
constituant une langue forment, non seulement une cha�ne structurale,
mais conceptuelle aussi, capable d� interpr�ter la r�alit� environnante.
Chaque langue r�gle ces rapports selon des contraintes tout � fait
personnelles de fa�on � r�v�ler, par cons�quent, une empreinte
originale et exclusive : son g�nie. A ce propos Andr� Martinet
justement rappelait que � � chaque langue correspond une
organisation particuli�re des donn�es de l�exp�rience. Apprendre une
autre langue, ce n�est pas mettre de nouvelles �tiquettes sur des objets
connus, mais s�habituer � analyser autrement ce qui fait l�objet de la
communication �.
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Dans le deuxi�me et le troisi�me chapitre, apr�s avoir �clair� les
principes et les r�gles qui r�gissent la construction syntaxique, j�ai
abord� le th�me fondamental de cette �tude � travers une analyse des
diff�rents types d�adjectifs qualificatifs et de leurs propri�t�s.
Evidemment, comme on l�a d�j� esquiss�, ma r�flexion ne se borne
pas seulement aux caract�ristiques formelles de l�adjectif et aux
consid�rations relatives � sa place � l�int�rieur de la phrase mais elle
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A. Martinet , El�ments de linguistique g�n�rale, Paris, A. Colin, 1970, pp. 10-
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s��tend � la formation et � la cr�ation des adjectifs � travers plusieurs
proc�d�s, toujours appuy�s sur le recours aux exemples tir�s de la
presse.
Une attention particuli�re a �t�, ensuite, consacr�e � la th�orie de
la translation qui cherche � p�n�trer la capacit� d�une langue de
transf�rer un mot plein d�une cat�gorie grammaticale � une autre, de
d�terminer, donc, m�me un changement de nature syntaxique �
l�int�rieur de la phrase.
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Chapitre I
La structure morphologique de la phrase
§ 1.1 Les variétés d’une langue et la norme.
L��tude des langues est, sans aucun doute, une activit�
extr�mement passionnante pour ceux qui cherchent � comprendre la
nature et le fonctionnement de l�instrument le plus pr�cieux de l��tre
humain, une caract�ristique qui lui appartient de fa�on exclusive : le
langage. En effet le langage n�est rien d�autre que la facult�
proprement humaine, d�termin�e par de particuli�res aptitudes
biologiques, d�apprendre et d�utiliser les complexes syst�mes
symboliques que sont les langues, consid�r�es comme des moyens de
communication intersubjective caract�risant les diff�rentes
communaut�s.
Les langues sont, donc, tellement un instrument d�identit� et
d�unit� � l�int�rieur de chaque communaut� que, d�j� au d�but du
XIX
e
si�cle, le ma�tre � penser et linguiste allemand Wilhelm von
Humboldt affirmait l�existence d�une relation profonde entre langue et
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peuple. Il pensait que la soi-disant innere Sprachform (la forme
int�rieure de la langue) est un �l�ment constitutif fondamental de
l�esprit humain et, par cons�quent, que chaque forme de langue peut
�tre consid�r�e comme une caract�risation du peuple qui la parle.
C�est pour cela qu�il r�vait d�arriver � �tablir entre la mentalit� et la
langue d�un peuple un rapport si �troit qu�il suffit d�en conna�tre une
pour en d�duire l�autre.
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Mais si d�un c�t� la langue est un instrument de liaison, de
l�autre, elle peut, en m�me temps, se r�v�ler un �l�ment de diff�rence
et de distinction. En effet elle assimile et refl�te tous les facteurs de
diff�renciation qui animent la r�alit� sociale, les singularit�s propres
d�une localisation g�ographique ou les caract�ristiques intrins�ques de
certaines classes sociales, de certains milieux culturels ou cat�gories
professionnelles.
Cela veut dire qu�� c�t� d�une langue standard on peut trouver
une ou plusieurs vari�t�s de la m�me langue avec des contraintes �
elles-m�mes. La forme standard d�une langue est, tr�s simplement, la
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W. von Humboldt, La diversit� delle lingue, Bari, Laterza, 1991 ; R. Langham Brown, Wilhem
von Humboldt�s Conception of Linguistic Relativity, L'Aia, Mouton, 1967. ; voir aussi J. G.
Herder, Trait� de l�origine du langage [trad. di Abhandlung �ber den Ursprung der Sprache],
Paris, Presses Universitaires de France, 1992.
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vari�t� linguistique qui, gr�ce � son large emploi de la part la plus
cultiv�e de la population jouit d�un prestige plus grand que les autres
vari�t�s. En outre, la vari�t� standard a une tradition culturelle et
litt�raire qui contribue �norm�ment � lui donner le statut sp�cial dont
elle jouit parmi ses usagers et elle est presque toujours comprise par
les sujets parlant d�autres vari�t�s, � savoir les dialectophones.
Il s�ensuit que pour le fran�ais aussi on peut parler de langue
standard et de vari�t�s correspondantes, aptes � former un grand
polysyst�me.
De fa�on g�n�rale on peut distinguer :
• les vari�t�s r�gionales, li�es � une expression et � des
emplois locaux du fran�ais ;
• les vari�t�s techniques, correspondantes � des langues de
sp�cialit� (juridique, m�dicale, �conomique, journalistique,
etc.) ;
• les vari�t�s situationnelles, mises en relation avec la
situation d�expression (langue soign�e, courante, famili�re) ;
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• les vari�t�s sociales, li�es aux diff�rents emplois de
nature sociale (parler populaire, argots, � langue standard �) ;
• les vari�t�s stylistiques, caract�ris�es et distingu�es par
les multiples styles adopt�s (langue litt�raire, administrative,
philosophique, etc.).
De tout autre genre, puis, c�est l�idiolecte, c�est-�-dire l�ensemble
des usages linguistiques de tout locuteur, une sorte de m�lange de
plusieurs vari�t�s qui va caract�riser de fa�on distinctive la forme
expressive d�un sujet parlant.
Ce discours nous aide � aborder un th�me particuli�rement
d�battu en sociolinguistique : la question de l'unicit� de la norme.
L�emploi de la langue standard fait de sorte que, gr�ce � l�usage
dominant de cette vari�t� sur les autres, on parvienne � la reconna�tre
comme langue officielle et par cons�quent strictement norm�e et
control�e institutionnellement.
Pour ce qui concerne le fran�ais un r�le de premi�re importance
est jou� par l�Acad�mie Fran�aise qui, depuis le XVII
e
si�cle, doue la
langue, � l�aide de grammaires et de dictionnaires, des contraintes �
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l�int�rieur desquelles elle doit se produire et se manifester. Il s�ensuit
que tous les usages qui s��loignent de la norme codifi�e et reconnue
comme correcte seront marqu�s de � mauvais fran�ais �,
d�incorrection grammaticale, etc.
Toutefois l�id�e du soi-disant � bon usage �, unique et exclusif
de tout autre, � �t� r�cemment remplac�e par la conception plus
fonctionnelle de norme variant selon les situations de communication.
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D�ailleurs il est �vident qu�un m�me locuteur s�exprime de fa�on
diff�rente selon les situations multiples et vari�es qui se pr�sentent
chaque jour. Il parlera d�une certaine mani�re avec un ami et d�une
autre dans une conversation officielle (ex. � C��tait vachement
chouette � versus � Le spectacle �tait d�une beaut� infinie �), il
emploiera des tournures soutenues ou famili�res selon la situation, ou
mieux, le type d�emphase qu�il veut transmettre � son auditeur
(� s��vanouir � versus � tomber dans les pommes �), etc.
Tout cela est fondamental dans l��tude de l�expression
linguistique car il indique la multiplication du fran�ais contemporain
en plusieurs usages sp�cifiques, identifi�s avec les soi-disant registres
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M. Riegel, J-C. Pellat, R. Rioul, Grammaire m�thodique du fran�ais, Paris, Presses
Universitaires de France, 1994, pp. 10-11.
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de langue, et l�existence de vari�t�s qui permettent la compr�hension
des multiples attitudes assum�es par les �l�ments grammaticaux et les
constructions syntaxiques face � de diff�rents contextes de
communication.
§ 1.2 La phrase, objet de l’analyse syntaxique.
� La personne qui a acquis la connaissance d�une langue a
int�rioris� un syst�me de r�gles qui relie les sons et les significations
d�une mani�re particuli�re. Le linguiste qui construit la grammaire
d�une langue ne fait que proposer un syst�me sur ce langage
int�rioris� �.
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Chomsky a, donc, �clair�, sous un certain point de vue,
le but de tout linguiste lorsqu�il commence l��tude d�une langue :
comprendre les r�gles qui ordonnent et r�gissent une structure
linguistique particuli�re.
Evidemment il ne suffit pas de conna�tre la vari�t� employ�e
pour se rendre compte des caract�ristiques expressives, il faut mettre
en �vidence m�me les liaisons invisibles d�terminant les successions
de signes, de sons et de mots. Ce sont justement les mots et leurs
4
N. Chomsky, Structures syntaxiques, Paris, Ed. du Seuil, 1969, p. 26.
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relations dans des limites pr�cises qui nous int�ressent davantage,
c�est la syntaxe qui repr�sente l�objet principal de nos consid�rations.
Un �l�ment fondamental devient alors la phrase, le champ de
recherche privil�gi� pour des �tudes de ce genre. D�apr�s une
formule tr�s simple la phrase n�est qu�une s�quence de mots que tout
sujet parlant est en mesure de produire et de comprendre et dont il sent
intuitivement l�unit� et les limites. Au-del� de cette formule les
linguistes ont cherch� � donner trois autres d�finitions qui, toutefois,
n�ont pas v�ritablement r�ussi � trouver une identification nette � cet
aspect syntaxique. On parle de d�finition graphique lorsqu�on
consid�re la phrase comme une suite de mots d�limit�s par une lettre
majuscule au d�but et une ponctuation � la fin, alors qu�on parle de
d�finition phon�tique en pr�sence d�une s�quence de mots isol�e par
deux pauses importantes et caract�ris�e par une intonation variable
selon le type de phrase employ�e. En r�alit� les deux consid�rations
en question n�arrivent pas � �tre d�finitoires de fa�on
satisfaisante : sur ces bases, n�importe quelle suite de mots �crite ou
parl�e, ponctu�e ou isol�e par deux pauses et pourvue d�intonation
phrastique pourrait �tre une phrase.
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Evidemment la question est plus compliqu�e et le crit�re
s�mantique ne peut non plus intervenir heureusement. Ce type de
d�finition, dite de la compl�tude s�mantique, d�inspiration
p�dagogique, veut la phrase � une expression plus ou moins
complexe, mais offrant un sens complet, d�une pens�e, d�un
sentiment, d�une volont� �
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, sans se rendre compte, toutefois, que
cette d�finition d�termine cette unit� syntaxique par son contenu et
non par ses v�ritables �l�ments constituants.
La meilleure r�ponse au probl�me d�identification de la phrase a
�t� plut�t r�cemment trouv�e et aussit�t int�gr�e par les grammaires
scolaires. Il s�agit d�un crit�re de consid�ration de la phrase comme un
assemblage grammatical de mots, � savoir un ensemble ordonn�
syntaxiquement, � l�unit� sup�rieure, � la fois compl�te et autonome,
susceptible d��tre d�crite au moyen d�un ensemble de r�gles morpho-
syntaxiques �.
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Elle poss�de une double propri�t� : �tre form�e de
constituants sans jamais le devenir � son tour, n�existant pas une unit�
syntaxique d�ordre sup�rieur. Cette caract�ristique permet � la phrase
5
G. Mauger, Grammaire pratique du fran�ais : langue parl�e, langue �crite, Paris, Hachette,
1968, p. 154 ; voir aussi C. Marchello-Nizia, La notion de � phrase � dans la grammaire,
� Langue fran�aise �, 41, 1979, pp. .34-58.
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M. Riegel, J-C. Pellat, R. Rioul, Grammaire m�thodique du fran�ais, cit., p.104.
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de se pr�senter comme le cadre o� s��tablit le r�seau de relations
appel�es fonctions grammaticales, o� se d�terminent les classes
d�unit� simples ou parties du discours et les classes d�unit� complexes
ou groupes de mots, tous les �l�ments, donc, qui vont charpenter la
structure syntaxique des �nonc�s.
Il est �vident alors que la syntaxe et, donc, l�ensemble des r�gles
gouvernant les relations de combinaison et de d�pendance entre mots
et groupes de mots � l�int�rieur de la phrase, devient un point de
rep�re indispensable au but que cette recherche poursuit. Ce sont
deux, en particulier, les facteurs d�terminants dans l�articulation d�une
phrase simple : la nature des constituants l��nonc�, et donc leur
appartenance � des classes grammaticales, et leur fonction, c�est-�-dire
le r�le sp�cifique jou� dans le cadre phrastique par chaque �l�ment.
La plupart des cas, entre la nature et la fonction d�un constituant
syntaxique, il y a une correspondance bi-univoque qui, toutefois, n�est
pas n�cessairement absolue et fixe. En effet, un �l�ment d�une nature
donn�e peut avoir plusieurs fonctions (comme dans le cas de l�adjectif
qui peut �tre attribut, �pith�te ou apposition) ou � l�inverse une m�me
fonction peut �tre exprim�e par des �l�ments de nature diff�rente (par
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ex. la fonction adjectivale peut �tre remplie par un adjectif, un
substantif, un adverbe, etc.). L��tude de la phrase n�cessite donc, pour
la compr�hension de son architecture, de r�gles de r��criture qui
puissent parvenir � hi�rarchiser et ordonner les regroupements de
l��nonc� dont l�organisation est le principal objet de la grammaire
syntaxique.
Plus en particulier les fonctions syntaxiques peuvent �tre d�finies
selon plusieurs crit�res ou, comme il arrive souvent dans la pratique,
selon une conjonction de crit�res. La grammaire syntaxique distingue
entre :
• les crit�res positionnels, qui d�terminent, en absence d�un
syst�me flexionnel, la fonction attribu�e � un certain
�l�ment par rapport � la place qui lui est assign�e. Cela
explique pourquoi, par exemple, le sujet est plac� devant le
verbe ou l�adjectif �pith�te imm�diatement avant ou apr�s
le nom d�un groupe nominal. Et les adjectifs interviennent
pour montrer l�existence d�un autre crit�re identificatoire
des fonctions, li� � leur nature obligatoire ou facultative.