1
Introduction
« Bien qu’en aient dit certains hommes qui n’avaient pas
songé à ce qu’ils disaient, la langue française n’est point fixée
et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas
1
. »
V. Hugo, Préface de Cromwell
Tous les secteurs de la société moderne sont influencés par la langue
considérée comme internationale: l’anglais. Mais, plus des deux tiers (2/3) du
vocabulaire anglais sont d’origine française alors que les emprunts de la langue
française à l’anglais sont de l’ordre de 4%
2
. Cette forte influence linguistique
remonte au XI
ème
siècle lorsque Guillaume le Conquérant, duc de Normandie,
envahit l’Angleterre pour y imposer le français (à l’époque franco-normande)
3
.
Pourtant, ces derniers temps, l’interférence de l’anglais (plus précisément
anglo-américain) vers le français est devenue un phénomène qui dépasse le simple
échange interlinguistique et mérite donc une certaine attention. Il ne faut pas
oublier que l’emprunt est un procédé qui a existé dans toutes les langues et
à toutes les époques. Par exemple, en feuilletant l’histoire de la langue française, on
peut apprendre qu’elle est en fait construite à partir d’une autre langue, à savoir le
latin. Au cours des siècles elle a également emprunté massivement entre autres à
l’italien, au grec et, dès la fin du XVIII
ème
siècle, à l’anglais
4
. L’influence de la
langue anglaise a commencé à augmenter surtout après la Seconde Guerre
mondiale
5
, probablement en raison du rôle politique et culturel dominant montré
par les États-Unis.
1
V. Hugo, Préface de Cromwell, Paris, Larousse, 1827.
2
Déclaration d’Henriette Walter dans un entretien de Lorca A., Questions à... Henriette Walter,
www.lexpress.fr/culture/livre/honni-soit-qui-mal-y-pense_804257.html, publié le 01/03/2001.
3
A. Crépin, Quand les Anglais parlaient français, Paris, Comptes rendus des séances de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, 2004, pp. 1570-71.
4
M. Perret, Introduction à l’histoire de la langue française, Paris, Campus linguistique, 1998, p.
99.
5
Extrait de l’entretien avec A. Lacoudre: https://france-amerique.com/fr/linfluence-du-francais-sur-
la-langue-anglaise-est-considerable-et-insoupconnee/, 26 mars 2015.
2
Ce travail vise à analyser l’utilisation des anglicismes dans le domaine
politique et économique
6
français, un thème qui est certainement actuel en tenant
compte de la quantité des emprunts de l’anglais que la langue française accueille
aujourd’hui. En particulier, il ne s’agit pas de définir un glossaire des termes
anglais, mais de mettre en relief les racines françaises et d’en étudier les effets
paradoxaux pour vérifier les transformations que les anglicismes ont subies à partir
du gallicisme d’où ils proviennent. Quels types d’anglicismes la langue française
emprunte-t-elle aujourd’hui? Dans quelle mesure les anglicismes sont-ils
adaptés et intégrés dans cette langue? Pour quelles raisons les emprunte-t-on?
Quel est le rôle des anglicismes dans la presse française et dans les choix
linguistiques du contexte politique français? Et surtout, pourquoi étudier l’emprunt
aujourd’hui?
Ce phénomène est en constante évolution et surtout il ne semble pas s’arrêter.
Au contraire, il semble également envahir des domaines comme celui de la politique
où l’usage de la langue française devrait être obligatoire.
Pour cette raison, dans cette étude, on analysera les différents discours de
l’actuel président français E. Macron. Pourquoi le président E. Macron? Depuis son
élection, le 7 mai 2017, il a montré comment l’influence d’autres langues,
principalement l'anglais, ne peut que s’améliorer et protéger la francophonie
7
. En
particulier, le président Macron a décidé d’appliquer une stratégie de
communication en rupture avec celle du candidat Macron, décidant d’introduire
beaucoup plus d’anglicismes dans ses discours, surtout après avoir été élu
président. Pourquoi seulement après son élection? Et surtout, quelle fonction jouent
les termes anglais dans les discours de l'actuel chef de l’État E. Macron?
Les anglicismes seront choisis à partir d’une sélection des sources
journalistiques qui traitent essentiellement de l’économie, de la politique et de
6
Cf. J. A. Mourgue, Essai de Statistique, Mercure de France, Littéraire Et Politique, Tome
Quatrième, Paris, Maradan, 1817, pp. 280-281.
7
Cf. P. Bergeron, “Parler l’anglais renforce la francophonie, selon Emmanuel Macron”,
https://www.ledevoir.com/politique/quebec/521889/philippe-couillard-rencontre-emmanuel-
macron-a-l-elysee, publié le 05/03/2018, consulté le 21/05/2018.
3
l’actualité. Les études sont tirées, en majorité, des sites en ligne des quotidiens
retenus plus influents dans les domaines mentionnés ci-dessus, parmi ceux-ci Le
Monde, Le Parisien et Le Figaro. Les statistiques, la documentation juridique
officielle française et les règles juridiques dans le domaine linguistique sont issues
d’un grand nombre de sources, dont les sites officiels de la Commission
européenne, de l’Élysée et de l’Organisation internationale de la francophonie.
Pour soutenir la thèse de la diffusion des anglicismes dans le domaine politique et
économique, on analysera quelques-uns des discours les plus pertinents de l’actuel
président français E. Macron. Pour ce qui est de la sélection des emprunts à inclure
dans ce travail, il a fallu établir une délimitation en se fondant sur leur datation. Le
choix est tombé sur les anglicismes introduits dans les discours de Macron à partir
du 30 janvier 2017
8
, quand il était encore dans la phase préliminaire pour la
candidature à l’élection présidentielle. Par conséquent, l’analyse sera réalisée à
travers une comparaison des discours de Macron candidat
9
et de ceux du Macron
président. L’objectif sera de retracer les mots anglais que Macron ne prononce plus
depuis qu’il n’était qu’un candidat et ceux, au contraire, que le président Macron a
décidé d’introduire dans son domaine lexical. La sélection des discours se fera grâce
au moteur de recherche Le Poids des Mots (http://www.parismatch.com/Le-Poids-
des-Mots), projet mis au point par Data Match, la cellule spécialisée en
datajournalisme de Paris Match, la revue périodique française fondée en 1949. On
consultera l’édition en ligne du Larousse (http://www.larousse.fr) afin de vérifier si
les anglicismes ont déjà été inclus dans le vocabulaire français et en ce qui concerne
l’analyse étymologique, on consultera les moteurs de recherche Lexilogos
(www.lexilogos.com/etymologie.htm) et Etymonline (www.etymonline.com/).
8
La date se réfère au travail effectué par Data Match qui a regroupé, depuis le 30 janvier 2017, les
interventions écrites et orales (meetings, interviews dans la presse écrite, émissions de radio et de
télévision, directs sur les réseaux sociaux et les débats télévisés) de l'actuel chef d'État. Pour savoir
plus: http://www.parismatch.com/Le-Poids-des-Mots.
9
La République en marche!, ou simplement En marche!, est le parti politique social-libéral
français lancé le 6 avril 2016 par Emmanuel Macron,
htps://fr.wikipedia.org/wiki/La_R%C3%A9publique_en_marche, consulté le 21/05/2018.
4
Chapitre 1
Éléments théoriques et historiques
Le phénomène de l’emprunt aujourd’hui en France est au cœur d’un intérêt
linguistique grandissant. À travers ses différentes définitions, ses types de
classification et son fonctionnement dans la langue, l’emprunt tient compte aussi
des concepts d’anglicisme, de francophonie et surtout de franglais. C’est pour
cela qu’un bref excursus historique de l’influence de la langue française sur la
langue anglaise et sur le moment où le phénomène inverse a commencé permettra
d’en éclaircir certains aspects problématiques.
1.1 Qu’est-ce qu’un emprunt linguistique?
Les mots ne connaissent pas de frontières; en effet, les langues s’enrichissent
aussi en empruntant des termes d’autres langues. Le lexique de la langue française
contient un grand nombre de mots d’origine anglaise, mais surtout au contraire,
comme a suggéré la linguiste Henriette Walter: « Plus des deux tiers du vocabulaire
anglais sont d’origine française […]
1
». Anthony Lacoudre, auteur de L’incroyable
Histoire des Mots Français en Anglais (2015), dans un entretien à France-
Amérique, Le Journal Français des États-Unis, a déclaré: « Plus de deux niveaux
du vocabulaire anglais est d’origine française. Les emprunts de notre langue à
l’anglais sont de l’ordre de 4%.
2
»
Donc, les Anglais parlent un français déguisé
sans le savoir
3
.
1
Déclaration d’Henriette Walter dans un entretien de A. Lorca, “Questions à... Henriette Walter”,
www.lexpress.fr/culture/livre/honni-soit-qui-mal-y-pense_804257.html, publié le 01/03/2001,
consulté le 24/04/2018.
2
Extrait de l’entretien avec A. Lacoudre: https://france-amerique.com/fr/linfluence-du-francais-sur-
la-langue-anglaise-est-considerable-et-insoupconnee/, publié le 26/03/2015, consulté le 24/04/2018.
3
Cf. A. Lacoudre, L’incroyable Histoire des Mots Français en Anglais: Ou Comment les Anglais
Parlent Français Sans le Savoir, Paris, Walworth Publishing, 2015.
5
En français, le terme emprunt est employé avec deux sens distincts: il désigne
autant l’action d’emprunter que l’élément emprunté
4
. Cela a pour conséquence que
les définitions du terme emprunt diffèrent d’un auteur à l’autre. En linguistique, et
plus particulièrement en linguistique comparée, l’emprunt consiste à adopter dans
le lexique d’une langue un terme d’une autre langue
5
. L’emprunt peut être direct,
comme a fait allusion le linguiste L. Deroy dans sa définition suivante: « une forme
d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une autre communauté
6
»
ou indirect, c’est-à-dire, une langue emprunte à une autre langue à travers une ou
plusieurs langues intermédiaires. En général, l’emprunt est un mot ou une
expression emprunté à une autre langue, sans le traduire, mais en l’adaptant aux
règles morphosyntaxiques, phonétiques de la langue dite langue d’accueil
7
. La
définition, qui s’avère la plus complète, est donnée par le Dictionnaire de
linguistique et des sciences du langage: « Il y a emprunt linguistique quand un
parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait
précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas;
l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes qualifiés d’emprunt
8
».
Aujourd’hui, l’emprunt est mal vu par un grand nombre de francophones
s’inquiétant de l’avenir du français. En réalité, ce n’est pas le phénomène en général
qui les trouble, mais un type spécifique d’emprunt, à savoir l’anglicisme. Il y a déjà
plusieurs années, l’usage des anglicismes suscitait en France des réactions
polémiques, ou même violentes
9
. Au contraire, les emprunts sont, en général, bien
acceptés, particulièrement par les jeunes générations. Dans un extrait de la préface
du Nouveau Petit Robert, J. Guilford souligne: « L’anglicisme qui était autrefois un
snobisme des classes aisées exerce aujourd’hui une pression qui touche toutes les
classes de la société, et largement les adolescents
10
». Malgré tout, actuellement, la
4
Cf. C. Loubier, De l’usage de l’emprunt linguistique, Québec, Office québécois de la langue
française, 2011, p. 10.
5
Cf. J. Tournier, Les mots anglais du français, Paris, Belin, 1998.
6
L. Deroy, L’Emprunt linguistique, Paris, Liège, 1956.
7
Cf. J.F. Hamers, «Emprunt» in Sociolinguistique: les concepts de base, Liège, éd. Mardaga, 1997,
pp. 136-139.
8
J. Dubois, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1973, p.
188.
9
Cf. R. Étiemble, Parlez-vous franglais?, Paris, Gallimard, 1964.
10
J. Rey-Debove, Le Nouveau Petit Robert, Paris, Le Robert, 2010, XVIII.
6
plupart des emprunts ont la forme ou le sens intégral ou partiel (forme ou sens
seulement) d’origine anglaise.
1.2 Qu’est-ce qu’un anglicisme?
Comme pour le terme emprunt, le terme anglicisme prévoit également
différentes définitions par des auteurs et des chercheurs différents. Les différents
auteurs qui s’intéressent à la question ne s’accordent pas toujours entre eux sur ce
qu’il convient de considérer comme anglicisme. Pour cette raison, le problème
essentiel est de savoir comment définir l’anglicisme. En effet, la présence de
différentes définitions montre que ce n’est pas si simple. Selon le professeur de
linguistique générale Maurice Pergnier, il existe trois définitions courantes du mot
anglicisme, mais ici on n’en mentionne qu’une seule, la plus significative:
l’anglicisme est un terme anglais ou influencé par l’anglais dont la fréquence
d’utilisation est suffisamment élevée pour pouvoir être considéré comme étant
intégré au lexique du français et donc être répertorié dans les dictionnaires et
glossaires
11
. Comme le précise Pergnier: « Qu’on le veuille ou non, cette insertion
revient à entériner le mot anglais et à légitimer sa présence dans le sein de la langue
française.
12
» L’anglicisme, comme a suggéré J. Rey-Debove dans le Dictionnaire
d’Anglicismes. Les mots anglais et américains en français, est aussi « un mot
(une tournure, un emploi d’un mot, etc.) anglais utilisé de manière fautive à la place
du mot (de la tournure, de l’emploi d’un mot, etc.) français correct
13
. »
Du point de vue linguistique, le phénomène d’anglicisation de la langue
française se manifeste à travers beaucoup de catégories d’emprunts à l’anglais,
y compris les anglicismes lexicaux, les anglicismes sémantiques, les anglicismes
phonétiques, les anglicismes graphiques et les anglicismes morphologiques, selon
que l’emprunt touche le signifiant, le signifié ou la syntaxe.
11
Cf. M. Pergnier, Les anglicismes: danger ou enrichissement pour la langue française?, Paris,
Presses universitaires de France, 1989.
12
Ivi, p. 19.
13
J. Rey-Debove, J. & G. Gagnon, Dictionnaire des anglicismes: Les mots anglais et américains
en français, Paris, Les Usuels du Robert, 1980.