5
Parallèlement à ce mouvement qui vise à prévenir l’usurpation des savoirs traditionnels dans les
savoirs modernes ou de les intégrer selon certaines visions dans le cadre du commerce
international moyennent une régulation mineure au profit de leurs détenteurs
8
, des voies
s’élèvent aujourd’hui pour reconnaître les droits sur les savoirs traditionnels dans le cadre du
système du brevet. L’articulation entre les systèmes de l’innovation officielle et non officielle
9
est le fondement même d’une obligation juridique de divulguer l’origine des savoirs traditionnels
dans les demandes des brevets, exigence nouvelle au niveau du Droit du brevet pour la
régulation du commerce international de la biodiversité.
A vrai dire, les réflexions sur l’institution d’une telle obligation au niveau du Droit du brevet
s’étendent à la divulgation de l’origine des ressources génétiques qui peuvent être définis comme
des informations virtuelles, codés, transmissibles que l’on retrouve chez les êtres vivants :
Micro-organismes, plantes et animaux, et qui présentent un intérêt potentiel comme source de
produits nouveaux
10
.
La divulgation de l’origine des ressources génétiques et des savoirs traditionnels dans les
demandes de brevets est une obligation qui est susceptible d’assurer l’effectivité de la convention
sur la diversité biologique
11
qui vise à atteindre trois objectifs essentiels : La conservation
12
,
l’utilisation durable de la biodiversité
13
et le partage juste et équitable des avantages qui en sont
issus
14
et par conséquent de servir le développement durable
15
.
Elle peut être définie comme un instrument servant à faciliter le partage des avantages entre les
utilisateurs et les fournisseurs du matériel génétique, il pourrait consister en l’obligation de
objet….Un régime de propriété intellectuelle devient sui generis si l’on modifie certaines de ses caractéristiques de manière à
tenir dûment compte des particularités de son objet et des besoins particuliers qui conduisent à la création d’un système distinct ».
8
Qui sont le plus souvent des communautés locales et autochtones.
9
L'expression de l'innovation non officielle est utilisée dans la littérature de la FAO.
10
Il faut distinguer entre les ressources génétiques et les ressources biologiques. Conformément à la CDB, ces dernières sont des
« ressources génétiques, organismes ou éléments de ceux-ci, les populations, ou tout autre éléments biotique ayant une utilisation
ou une valeur effective ou potentielle pour l’humanité » tandis que par ressource phyto-génétique par exemple, on désigne le
matériel génétique d’origine végétal ayant une utilisation ou une valeur effective ou potentielle. L’article 2 TIRPGAA précise
que les RPG/AA désignent le matériel génétique d’origine végétale ayant une valeur effective ou potentielle pour l’alimentation
et l’agriculture y compris le matériel de reproduction et de multiplication végétative, contenant les unités fonctionnelles de
l’hérédité. Le matériel végétal désigne également la variété définie comme « un ensemble végétal d’un taxon botanique du rang
le plus bas connu, défini par l’expression reproductible de ses caractères distinctifs et autres caractères génétiques ».On peut
affirmer que l’utilisation ou la valeur du matériel végétal sont liés aux gènes en tant qu’unités fonctionnelles de l’hérédité ou
supports de certains caractères. Le gène en tant que composition biochimique détermine la reproductibilité des RPG/AA mais
également revêt une importance par rapport à leur composition moléculaire, par exemple les plantes médicinales.
11
Morin (Jean Frédéric), « la divulgation de l’origine des ressources génétiques : une contribution du droit des brevets au
développement durable ». http://www.er.uqam.ca/nabel/ieum/pdf/Morin_origine_PI.pdf. ,
12
La conservation in situ et ex situ des éléments de la Diversité Biologique conformément à la convention sur la Diversité
Biologique.
13
Conformément à la Convention sur la Diversité Biologique et aux principes d’Addis Abiba de 2002 portant sur l’utilisation
durable de la biodiversité.
14
C’est le principe qui est actuellement au cœur des négociations internationales sur le régime international sur l’accès et la
partage des avantages issus de la diversité biologique.
15
Le développement durable est un développement écologiquement soutenable, économiquement viable et socialement équitable.
6
déclarer l’origine géographique du matériel de la variété utilisée comme matière première, au
moment de déposer une demande de propriété intellectuelle »
16
.
La divulgation de l’origine des ressources génétiques et des savoirs traditionnels dans les
demandes de brevets est également analysée comme « outil sui generis qui consiste en une
obligation administrative extraordinaire »
17
qui vise à assurer l’articulation entre les systèmes de
l’innovation officielle et non officielle.
A ce titre, elle est distincte de la divulgation de l’invention brevetable objet de l’article 29 de
l’AADPIC qui prévoit ce qui suit : « Les membres exigeront du déposant d’une demande de
brevet qu’il divulgue l’invention d’une manière suffisamment claire et complète pour qu’une
personne puisse l’exécuter et pourront exiger de lui qu’il indique la meilleure manière
d’exécuter l’invention connue de l’inventeur à la date de dépôt ou, dans le cas où la priorité est
revendiquée à la date de priorité de la demande ».
Elle est par ailleurs distincte du certificat d’origine des ressources génétiques et des savoirs
traditionnels, en tant que mécanisme qui vise également à faciliter le partage des avantages issus
de la biodiversité entre les demandeurs et les fournisseurs des ces ressources et/ou de ces savoirs,
et qui fait actuellement l’objet d’une réflexion à l’échelle internationale
18
comme un système
complémentaire à une obligation de divulgation de l’origine des ressources génétiques et des
savoirs traditionnels dans les demandes de brevets.
Si l’on s’attache à préciser le fondement théorique de l’obligation de divulguer l’origine des
ressources génétiques et des savoirs traditionnels dans les demandes des brevets, on peut dire que
les innovations biotechnologiques
19
protégées elles-mêmes par les droits de la propriété
intellectuelle ne sont que la dernière étape des connaissances accumulées et des inventions
réalisées au cours de millénaires, c’est pourquoi un brevet ne doit pas se contenter de protéger et
16 Manuel de référence « L’accord sur les aspects des Droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ». Collection
Les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture. Rome 2001, p 112.
17
Teixieira Nascimento (Ana Rachel), Protection juridique des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques : Cadre
juridique international, Faculté de Droit et de Sciences Economiques de Limoges. CRIDEAU UMR 60/62 CNRS/INRA, 2003, p
92.
18
Notamment dans les travaux des juristes de l’United Nations University, Institut of Advanced Studies:
- UNU-IAS Report: “User Measures, options for developing measures in User Countries to implement the access and benefit
sharing provisions of the conventions on biological Diversity” , 2
nd
Edition, December 2003.
- UNU-IAS study: “The feasibility, practicability and cost of a certificate of origin system for genetic resources”, preliminary
results of comparative analysis of tracking material in biological resource centres and of proposals for a certification scheme
study prepared by Brenden Tobin, David Cumminghan and Kazuo Watanabe, December 2004.
19
On peut retenir la définition de l'invention biotechnologique telle que prévue par la directive Européenne de 1998 dans son
article 3 " Aux fins de cette directive, sont brevetables les inventions nouvelles, impliquant une activité inventive et susceptibles
d'application industrielle, même lorsqu'elles portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant ou sur un
procédé, permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique. Une matière biologique isolée de son
environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à
l'état naturel".
7
rémunérer la dernière manipulation génétique basée sur des sélections successives et de
connaissances traditionnelles qui ont permis l’accès même à ces ressources dans leurs éléments
tangibles et intangibles
20
.
S’agissant de l’assise juridique de l’obligation de divulgation de l’origine des ressources
génétiques et des savoirs traditionnels au niveau des demandes de brevets, on peut dire que celle-
ci est plutôt reconnue par des textes internationaux non contraignants tels que les Lignes
Directrices de Bonn sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des
avantages résultant de leur utilisation
21
et dans l’article 16 d ii et la décision VI / 24
22
de la 6
ème
conférence des parties à la Convention sur la Diversité Biologique.
En effet, l’article 16 d ii des Lignes Directrices de Bonn prévoit : « Les parties contractantes
ayant sous leur juridiction des utilisateurs de ressources génétiques devraient prendre les
mesures législatives, administratives ou de politique générale appropriées, selon qu’il
conviendra afin de favoriser le respect du consentement préalable donné en connaissance de
cause de la partie contractante fournissant ces ressources ainsi que des conditions convenues
d’un commun accord auxquelles l’accès a été accordé. Ces pays devraient envisager….
ii) Mesures visant à encourager la divulgation du pays d’origine des ressources génétiques et
l’origine des connaissances innovations et pratiques traditionnelles des communautés
autochtones et locales dans les demandes de propriété intellectuelle »
Ce texte non contraignant de Droit international ne se contente pas d’encourager les parties
contractantes à la Convention sur la Diversité Biologique à divulguer l’origine des ressources
génétiques et des savoirs traditionnels au niveau des demandes de brevets, mais également au
niveau des droits de la propriété intellectuelle. La précision est importante, si l’on envisage
l’institution de cette même obligation au niveau des demandes de certificats d’obtentions
végétales qui protègent les variétés végétales issus d'un processus d’amélioration variétale
classique
23
.
20
Sur la distinction entre élément tangible et intangible voir les réflexions de Morin (Jean Frédéric), “Une réplique du Sud à
l’extension du droit des brevets: La biodiversité dans le régime international de la propriété intellectuelle”, Revue Droit et société
n° 58, 2004, p 10-11. L'auteur affirme à ce propos qu'en absence d'un consensus international sur " la question de savoir si les
droits d'accès au matériel génétique comprennent l'accès à l'intangible génétique, il semble vain d'espérer que les droits d'accès
puissent servir d'assise pour retirer la brevetabilité du matériel génétique de l'accord sur les ADPIC".
21
Les Lignes Directrices de Bonn sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages résultant de
leur utilisation est l’émanation des travaux du groupe spécial sur l’accès et le partage des avantages crée au sein de la CDB.
22
Cette décision est une simple recommandation de la conférence des parties sur la Convention sur la Diversité Biologique.
23
Voir à propos de la possibilité de l’institution d’une telle obligation au niveau des COV et la position favorable de la part de
l’industrie semencière l’article de Smolders (Walter), “Disclosure of origin, access and benefit sharing: The special case of
Seeds for food and Agriculture”, Quaker United Nations Office (QUNO), Quaker International Affairs Programme (QIAP),
Quno Occasional paper 17, October 2005. http://www.iprsonline.org/unctadrets/docs/Disclosure_Somolders.pdf